Lettre ESG Trimestrielle - Corée du Sud

03 juillet 2025

Le paradoxe sud-coréen

La Corée du Sud dispose d’un système éducatif particulièrement performant, reconnu pour la rigueur de son enseignement et l’excellence de ses résultats académiques. Les femmes sud-coréennes s'y distinguent tout particulièrement, étant aujourd’hui plus diplômées que leurs homologues masculins. Ainsi, 77% des femmes âgées de 25 à 34 ans sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 63% des hommes du même groupe d’âge, des chiffres nettement supérieurs à la moyenne de l’OCDE, qui s’établit à 52% pour les femmes et 39% pour les hommes.

Cependant, cette réussite académique n’est pas pleinement reflétée sur le marché du travail. Alors que 83% des femmes diplômées du supérieur occupent un emploi dans l’ensemble des pays de l’OCDE, ce taux tombe à seulement 69% en Corée du Sud. Le fossé se creuse encore davantage dans l’accès aux postes à responsabilités : malgré leur haut niveau de qualification, les femmes coréennes restent massivement sous-représentées dans les fonctions dirigeantes. Selon le FMI, elles ne représentent que 15% des cadres supérieurs en Corée du Sud, contre une moyenne de 34% dans l’OCDE.

Ce paradoxe souligne un déséquilibre profond entre la performance du système éducatif et la réalité du marché du travail. Il met en lumière les obstacles structurels et culturels qui freinent l’égalité des chances entre les sexes. Malgré quelques avancées, l’inclusion professionnelle des femmes demeure un défi majeur pour la Corée du Sud, tant en termes d’équité que d’efficacité économique.

Des inégalités persistantes dans le monde du travail

L’écart salarial entre hommes et femmes en Corée est le plus élevé de l’OCDE, (malgré une baisse progressive, passant de 37% en 2015 à 31% en 2022), alors que la moyenne des pays de l’OCDE s’élève à 12%. Un phénomène de « dualité du marché du travail » affecte particulièrement les femmes en Corée : une grande partie des travailleuses occupent des emplois temporaires, à temps partiel ou d’autres types de postes « non réguliers », caractérisés par de bas salaires et des perspectives limitées de développement professionnel et d’évolution de carrière. Les femmes qui quittent le marché du travail pendant les premières années de vie de leurs enfants, en renonçant à des postes réguliers avec avantages sociaux, ne peuvent souvent réintégrer le marché de l’emploi que par le biais de contrats précaires. Plus de 40 % des Sud-Coréennes interrompent ainsi leur carrière après leur mariage ou une naissance, tandis que celles qui restent en activité peinent à progresser dans leur carrière. Les systèmes de promotion fondés sur l’ancienneté pénalisent encore davantage les mères qui réintègrent le monde du travail après une interruption.

À cela s’ajoutent des discriminations persistante à l’embauche et dans les promotions : les femmes, même très diplômées, sont souvent écartées des secteurs stratégiques ou des fonctions de direction. Le plafond de verre demeure une réalité, avec des biais de genre qui freinent leur accès aux postes à responsabilité, en particulier dans les domaines de la finance, de l’ingénierie ou de la haute technologie.

Par ailleurs, la rigidité de la culture d'entreprise et les horaires de travail, parmi les plus longs des pays de l'OCDE, demeurent un obstacle à la participation féminine. Les longues journées de travail, les horaires peu flexibles et le recours encore limité au télétravail rendent extrêmement difficile la conciliation entre carrière et responsabilités familiales. Ces conditions, peu compatibles avec la vie de famille, contribuent au maintien d’inégalités durables sur le marché du travail sud-coréen.

Une société sous le poids des traditions

En Corée du Sud, les normes culturelles traditionnelles et les attentes liées au rôle familial freinent souvent les carrières des femmes. Par exemple, les naissances hors mariage restent extrêmement rares en Corée (moins de 5% des naissances) alors que la moyenne des pays de l’OCDE s’élève à plus de 40%. Les valeurs traditionnelles de la Corée trouvent leur origine dans une forte philosophie confucéenne. Une grande partie de la société reste attachée à ces valeurs, telles que le devoir de soutenir ses parents âgés, l’université comme symbole de statut social, et le rôle des femmes en tant que femmes au foyer. Selon les croyances confucéennes, la principale responsabilité des femmes est centrée sur la famille ce qui explique qu'elles assument l’essentiel de la charge liée à l’éducation des enfants. D’une certaine manière, la génération à venir en Corée semble exprimer son désenchantement vis-à-vis du système de valeurs dominant en choisissant de ne pas avoir d’enfants.

Des conséquences désastreuses pour le pays

La Corée du Sud affiche le taux de fécondité le plus bas au monde, avec seulement 0,75 enfant par femme en 2024. Cette situation alarmante s’accompagne d’un vieillissement accéléré de la population, conséquence directe de la chute rapide du taux de natalité et du recul de l’âge des mariages. La population active a déjà commencé à diminuer, ce qui menace la soutenabilité du système de retraites, réduit la base fiscale et risque de peser lourdement sur les finances publiques dans les décennies à venir.

Les facteurs socio-économiques jouent un rôle central dans cette crise démographique. Le coût élevé du logement, les charges financières importantes liées à l’éducation des enfants, le manque de services de garde abordables, et un soutien limité aux parents actifs rendent le mariage et la parentalité de moins en moins attractifs pour les jeunes générations. S’ajoute à cela une culture du surtravail profondément ancrée : la Corée du Sud figure parmi les pays de l’OCDE où l’on travaille le plus, avec des répercussions négatives sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ce contexte rend particulièrement difficile la conciliation entre emploi et vie familiale, en particulier pour les femmes.

Par ailleurs, un changement plus profond des normes sociales est en cours : de nombreux jeunes, et notamment les femmes, expriment un rejet croissant du modèle familial traditionnel, privilégiant leur indépendance et leur développement personnel à la perspective du mariage ou de la maternité. Cette évolution des mentalités renforce la tendance à la dénatalité.

Enfin, ces dynamiques démographiques auront également un impact territorial : dans certaines régions rurales, la baisse du nombre d’habitants entraîne déjà la fermeture d’écoles, le déclin de l’activité économique locale et la désertification progressive du tissu social.

Politiques publiques et initiatives

Le gouvernement sud-coréen a mis en place de nombreuses politiques pour réduire les obstacles rencontrés par les femmes dans le monde du travail, dans l'objectif de stimuler à la fois la croissance économique et le taux de natalité. En 2020, la Corée du Sud a adopté une loi visant à renforcer la diversité de genre au sein des conseils d’administration des grandes entreprises. Cette mesure interdit aux sociétés cotées détenant de plus de 2 000 Md Wons d’actifs (soit environ 1,5 Md€) de composer leur conseil d’administration exclusivement de membres du même sexe. Après une période transitoire de deux ans, la loi est entrée en vigueur le 5 août 2022. Cependant, elle ne fixe pas de quota minimal obligatoire de représentation féminine et ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect, ce qui limite significativement son efficacité. Depuis son adoption, la part des femmes dans les conseils d’administration des 100 plus grands conglomérats sud-coréens est passée de 3,5% en 2019 à 6% en 2023.

Cette progression, bien que positive, reste encore largement insuffisante par rapport aux standards internationaux. Des mesures plus ambitieuses sont donc nécessaires pour atteindre une égalité réelle entre les sexes dans la gouvernance des entreprises. Par ailleurs, début 2024, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives complémentaires, telles que l’extension des congés parentaux, l’amélioration des services de garde d’enfants, ou encore la promotion du travail flexible, afin de soutenir l’emploi féminin. Parmi ces mesures, un congé paternité payé d’un mois a été proposé, ainsi qu’une augmentation de 600 000 wons (environ 410 euros) de l’indemnité mensuelle versée pendant le congé maternité. Ces politiques semblent commencer à porter leurs fruits, comme en témoigne le léger rebond des naissances observé en 2024 et début 2025. Néanmoins, le taux de natalité demeure un enjeu majeur et préoccupant pour la société sud-coréenne, appelant à des efforts continus et renforcés.

Des entreprises concernées

Les conglomérats sud-coréens ont également pris à bras-le-corps les enjeux liés aux inégalités de genre et la baisse du taux de natalité. Avec plus de 125 000 employés en Corée du Sud, Samsung figure parmi les plus grands groupes du pays. Dès 1997, l’entreprise a franchi une première étape majeure en supprimant les discriminations de genre dans ses processus de recrutement. Depuis, Samsung a mis en place divers programmes et politiques visant notamment à accroître la représentation des femmes au sein de l’entreprise, en particulier à des postes de direction. Malgré ces efforts, la part des femmes parmi les cadres dirigeants reste encore limitée, atteignant seulement 7,3% en 2023, contre 3,8% en 2013. Samsung s’est fixé un objectif ambitieux : doubler cette proportion d’ici 2030. Par ailleurs, la réduction de l’écart salarial entre hommes et femmes constitue un autre engagement fort de l’entreprise. Pour donner un ordre de grandeur, l’écart global de rémunération entre les sexes, tous employés confondus, s’élevait à 24,2% en Corée du Sud en 2023. Ce chiffre, bien qu’élevé, reste néanmois inférieur à l’écart salarial national, qui atteignait 31% en 2022, comme mentionné précédemment.

De son côté, la banque KB Financial Group est reconnue pour sa gestion des enjeux ESG, et plus particulièrement pour sa politique en faveur d’une meilleure diversité. Présente dans l’indice Bloomberg Gender-Equality depuis 2019, KB Financial a déployé une stratégie solide pour accroître la part des femmes à des postes de direction, notamment grâce à des formations dédiées. Pour atteindre les objectifs fixés dans cette politique, KB Financial fournit également un soutien renforcé aux mères, avec des congés plus long que les exigences légales, des aides financières pour la garde d'enfants et leurs frais scolaires, ainsi que des conditions de travail plus flexibles pour favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. KB Financial a, pour la première fois de son histoire, nommé une femme à la présidence de son conseil d’administration. Par ailleurs, les femmes représentent 42% des administrateurs du conseil d’administration de l’entreprise, un chiffre particulièrement élevé en Corée du Sud.

De son côté, SK Hynix, géant sud-coréen des semi-conducteurs, a mis en place plusieurs mesures ambitieuses pour lutter contre la baisse de la natalité et soutenir ses salariés parents. L'entreprise prend en charge l'intégralité des traitements de fertilité et accorde cinq jours de congés payés aux employés concernés. À la naissance d’un enfant, une prime progressive est versée : 300 000 Wons pour le premier, jusqu’à 1M pour le troisième. SK Hynix propose également des crèches sur site, un congé de trois mois à l’entrée à l’école primaire, ainsi que des horaires flexibles. La société a instauré le programme « Happy Friday », permettant un jour de repos mensuel sans déduction des congés annuels, et envisage le télétravail permanent pour faciliter la vie familiale.

 

Perspectives et enjeux futurs

Afin d’améliorer durablement la participation des femmes au marché du travail en Corée du Sud, des réformes économiques et sociales ambitieuses s’imposent. Selon nous, seule une mobilisation conjointe des pouvoirs publics et des employeurs permettra d’y parvenir. Côté gouvernement, cela implique le renforcement des politiques de soutien à la parentalité, le développement d’infrastructures de garde, des incitations fiscales en faveur de la diversité ainsi qu’un cadre légal plus strict contre les discriminations. Les entreprises doivent, de leur côté, adopter des politiques de ressources humaines reposant sur un recrutement équitable, des systèmes de promotion fondés sur les compétences plutôt que sur l’ancienneté, la généralisation du travail flexible et la transparence salariale. En créant un environnement favorable à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et en valorisant le potentiel des femmes à tous les niveaux hiérarchiques, l’État et le secteur privé peuvent ensemble favoriser une croissance plus inclusive et plus soutenable.

Dans ce contexte, l’élection le 3 juin de Lee Jae-Myung à la présidence suscite l’espoir d’une sortie de la crise politique (déclenchée en décembre dernier à la suite de la déclaration de la loi martiale par le président Yoon). Son arrivée au pouvoir est également perçue comme une opportunité d’accélérer les réformes de gouvernance, dans le prolongement du programme "Value-Up" lancé début 2024. Sous la pression d’une base d’investisseurs individuels particulièrement active, forte de plus de 15 M de personnes, soit environ 30% de la population, la réforme du marché des capitaux est redevenue une priorité politique.

Face à la faible valorisation historique des entreprises cotées (illustrée par un ratio cours sur valeur comptable de 0,84x en 2023), le président Lee a fait de la gouvernance d’entreprise un axe majeur de son mandat. Bénéficiant du soutien de son parti majoritaire, ils proposent un ensemble de mesures sans précédent, incluant l’instauration d’un devoir fiduciaire explicite envers les actionnaires, avec pour objectif déclaré de porter le Kospi à 5 000 points (2 950 points actuellement).

En revanche, les enjeux liés à l’égalité femmes-hommes et à la place des femmes dans l’économie ont été peu abordés pendant la campagne. Nous restons néanmoins confiants dans la capacité du nouveau président et de son gouvernement à mener des réformes de fond pour rendre l’économie coréenne plus inclusive. Une participation féminine accrue permettrait d’élargir la base de talents disponibles, d’améliorer l’efficacité du marché de l’emploi et de renforcer, à terme, le potentiel de croissance du pays.

Du point de vue des investisseurs, cette dynamique positive, portée par des réformes de gouvernance, une meilleure transparence des entreprises et une attention croissante aux enjeux sociaux, renforce l’attractivité du marché sud-coréen. Si les ambitions annoncées se concrétisent, la Corée du Sud pourrait progressivement s’imposer comme un marché plus performant et mieux aligné sur les standards ESG internationaux.

À ce jour, GemEquity investit 11% de ses actifs en Corée du Sud, via plusieurs entreprises telles que SK Hynix (6,5%), KB Financial, Hyundai Motor, KT Corp et Samsung Electronics.

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