Carnet de voyage Chine / Hong-kong

23 juin 2025

Cette année, l’économie chinoise continue de faire face à d’importants vents contraires : demande domestique atone ou encore tensions commerciales persistantes avec les États-Unis. Malgré cela, nos interlocuteurs restent dans l’ensemble confiants et comptent sur Pékin et les collectivités locales pour aider l’activité en cas de dégradation des relations commerciales. 

En plus d’assister à la conférence Technet de Goldman Sachs à Shanghai ainsi qu’à la conférence Asie d’UBS à Hong Kong, nous avons effectué des visites de terrain dans 5 villes (Shanghai, Hangzhou, Shaoxing, Shenzhen et Guangzhou). Au cours de ce voyage, nous avons rencontré plus de 50 entreprises couvrant un large éventail de secteurs (20 lors de visites sur site, et 33 dans le cadre de conférences). À Hong Kong, nous avons également rencontré plus d’une douzaine d’entreprises asiatiques non chinoises : des leaders régionaux coréens (KB Financial, HD Hyundai Electric, KT), malaisiens (Gamuda), singapouriens (DBS, Jardine Matheson), philippins (BDO Unibank, Bank of the Philippine Islands) et indonésiens (Bank Syariah Indonesia, Merdeka Copper). 

Macro : Les défis persistent, mais la guerre commerciale semble peser davantage sur le sentiment des investisseurs que sur l’économie réelle 

Ces derniers mois, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine sont resté élevées, caractérisées par des changements soudains de ton et de politique, mais leur impact économique reste, jusqu’à présent, relativement limité. Suite à une croissance de 5,4% au 1er trimestre, le PIB chinois devrait croître d’environ 5% au 2nd trimestre et maintenir ce rythme sur l’ensemble de 2025. Au cours des 5 premiers mois, les exportations chinoises ont progressé de 6% en glissement annuel, soit un niveau globalement comparable à celui de l’année précédente. La baisse de 10% des exportations directes vers les États-Unis a été largement compensée par une hausse de 9% vers les autres pays, reflétant bien la redirection des échanges vers des partenaires non-américains. Toutefois, les exportations devraient ralentir au second semestre 2025, en raison d’un effet de base, de droits de douane plus élevés (avec un taux global supplémentaire de 30 %, s’ajoutant aux 25 % déjà appliqués sur certains produits), et d’un contexte mondial plus difficile. Néanmoins, le commerce extérieur chinois pourrait être moins dégradé qu’anticipé en avril dernier (valse des droits de douane totaux sur les produits chinois jusqu’à 145%). In fine, l’objectif officiel de croissance réelle de 5% du PIB devrait être atteint cette année ; soit par des exportations nettes meilleures qu’actuellement anticipées, soit par une politique budgétaire plus expansionniste.  

A court terme, cependant, la principale préoccupation de nos interlocuteurs réside dans la fragilité persistante de la demande domestique.

Les programmes de relance ciblant la consommation, totalisant environ 21 Md$ en 2024 et 42 Md$ en 2025, ont produit des résultats positifs dans certaines catégories telles que l’électroménager, les véhicules électriques et les smartphones. Néanmoins, la demande globale reste atone. Héritée de la période COVID et exacerbée par la crise immobilière, l’épargne de précaution demeure élevée et pèse sur la demande tout en maintenant la déflation. À notre avis, restaurer un effet de richesse positif (prix immobiliers stables, meilleures perspectives d’emploi) serait essentiel pour compenser le frein cyclique créé par la crise immobilière, d’autant plus que l’immobilier représente environ 70% de la richesse des ménages. À plus long terme, rééquilibrer le modèle économique chinois (la part de la consommation dans le PIB n’étant que de 38% contre 59% dans les pays de l’OCDE) nécessitera des réformes structurelles. Celles-ci incluent notamment l’élargissement du filet de sécurité sociale par un meilleur accès aux soins de santé publique et aux régimes de retraite, la mise en place de services de garde d’enfants et de soins pour personnes âgées plus abordables, la réforme de l’assurance chômage et la modernisation du système de « hukou », autant de mesures indispensables pour réduire l’épargne de précaution et soutenir la croissance de la consommation plus durablement.

Micro : Le pessimisme généralisé constaté en 2023-2024 s’estompe. 

  • Nouvelle consommation 

Bien que la consommation globale en Chine progresse faiblement, des opportunités émergent dans de nouveaux segments de consommation. Les remarques faites par nos interlocuteurs chez Mao Geping (cosmétiques), Miniso (commerce de détail spécialisé) et Yantai China Pet Foods font ressortir une nouvelle tendance : l’évolution du « déclassement de la consommation » vers une « consommation segmentée ». Les consommateurs recherchent de plus en plus un équilibre entre qualité et prix. Ils valorisent davantage les produits qui incarnent une histoire, une identité ou une expérience significative, et sont disposés à y consacrer un budget plus élevé. Dans ce paysage en évolution, les consommateurs de la génération Z (nés entre 1995 et 2009) jouent un rôle de plus en plus important. Leur forte propension à dépenser leur pouvoir d’achat croissant et leur préférence pour des produits de meilleure qualité à prix raisonnable (qui suscitent une émotion et auxquels les consommateurs peuvent s’identifier) dynamisent ces nouveaux secteurs de consommation. Alors que les marques de luxe internationales rencontrent une demande plus faible en Chine, les marques nationales traditionnelles progressent. Le bijoutier Laopu Gold (marque chinoise traditionnelle) a vu ses ventes fortement augmenter. Cette tendance favorisant les marques chinoises profite également au bijoutier Chow Tai Fook (2% de GemChina), notamment grâce au succès de Hua, sa collection haut de gamme.

  • Innovation et développement technologique 

Même si le moral des entreprises reste mesuré, nous avons constaté une nette amélioration par rapport à 2024 et 2023. Les entrepreneurs, particulièrement dans le secteur de la technologie, se sentent à nouveau soutenus par Pékin. L’irruption de DeepSeek, l’une des startups d’IA les plus disruptives en Chine, a attiré l’attention mondiale par son remarquable compromis coût-performance. Il convient de souligner que ces avancées technologiques ont été réalisées malgré les restrictions imposées par les États-Unis, soulignant l’inventivité chinoise et la détermination des autorités à pousser ce secteur. Au-delà de ses qualités techniques, DeepSeek constitue une étape importante pour les ambitions chinoises dans l’IA. Ce modèle symbolise la capacité croissante du pays à impulser une dynamique d’innovation plutôt que de se contenter d’améliorer des technologies existantes. Plus important encore, cette percée a contribué à raviver la confiance du marché dans le potentiel plus vaste de l’écosystème technologique chinois, jouant à la fois comme un signal et comme un catalyseur pour l’intérêt renouvelé des investisseurs. Nous avons également été impressionnés par l’application de nouvelles technologies et le développement rapide de nouvelles activités.

Dans le domaine des robots-taxis, nous avons rencontré Pony.ai et WeRide, les principaux acteurs chinois et 2 des 3 premières entreprises mondiales du secteur. Avec la mise en place de feuilles de route claires par les grandes villes chinoises, le secteur anticipe une expansion de la flotte nationale, qui passerait d’environ 1 000 véhicules cette année à plus de 500 000 d’ici 2030. Nous avons également effectué un vol d’essai chez EHang, le fabricant pionnier d’appareils eVTOL (cf. focus société page 2).

La position de marché dominante d’EHang, renforcée par sa certification commerciale délivrée par CAAC, le régulateur chinois de l’aviation civile (première et unique à l’échelle mondiale), fait de l’entreprise un acteur clé du « transport aérien de basse altitude ». Ce segment, en pleine expansion aujourd'hui en Chine, est une priorité stratégique activement soutenue par Pékin et les gouvernements locaux. Nous avons également visité plusieurs entreprises de pointe dans la robotique et l’automatisation industrielle, notamment BrainCo, Pudu Robotics, SenseTime et Dobot. Selon la plupart des experts rencontrés, le déploiement à grande échelle de robots humanoïdes nécessitera un modèle d’IA généralisable doté d'applications concrètes. Bien que la Chine détienne déjà un net avantage dans le hardware (fabrication, chaîne d’approvisionnement de composants), un nombre croissant de startups s’orientent désormais vers le développement de robots humanoïdes autonomes. Cette évolution marque un tournant stratégique dans le secteur, les acteurs s’attachent davantage à produire un produit innovant autonome, intégrant le hardware et le software.

Aussi les entreprises rencontrées dans le « hardware » Envicool (refroidissement liquide), Megmeet (systèmes de gestion énergétique) et Zhongji Innolight (émetteurs récepteurs optiques) tout comme les éditeurs de logiciels telles que Meitu ou Kingdee sont très optimistes quant à la demande liée au développement des data centers dédiés IA et des fonctionnalités basées sur l’IA. 

  • Localisation vs. expansion internationale  

La localisation reste une priorité stratégique des autorités chinoises. Elle vise à réduire la dépendance aux technologies étrangères et à atteindre l’autosuffisance dans des secteurs critiques tels que les semi-conducteurs, l’IA, les logiciels industriels et les composants de base. Initié avec le programme « Made in China 2025 » et renforcé par la stratégie de double circulation et le 14ème plan quinquennal, cet axe stratégique est soutenu par des financements de grande ampleur (tel que le Big Fund de 100 Md$ destiné à la fabrication de semi-conducteurs) et des avantages fiscaux importants. 

Les progrès sont visibles dans les domaines des véhicules électriques, de l’automatisation et de la fabrication de puces électroniques. Le plan gouvernemental prévoit d’être à un taux de 82% d’approvisionnement local en GPU d’ici 2027–2028, et 100% pour les circuits intégrés IA à horizon 2027. À plus long terme, la Chine ambitionne d’atteindre l’autonomie technologique dans des secteurs stratégiques tels que la biotechnologie, l’informatique quantique et l’aérospatiale d’ici 2035. Bien que l’ampleur des investissements dans l’équipement de fabrication de semi-conducteurs (44 Md$ en 2024) suscite des questions quant à sa durabilité, des fabricants d’équipements de pointe tels que NAURA et AMEC restent optimistes. Ils considèrent la localisation comme une tendance structurelle de long terme, motivée, non seulement par l’ambition économique, mais aussi par la volonté de sécurisation des chaînes d’approvisionnement face aux restrictions technologiques imposées par les États-Unis. Des entreprises de logiciels comme Kingdee et Hundsun Technologies ont également confirmé leur engagement en faveur de la localisation, dans un contexte de demande croissante pour les systèmes ERP et les logiciels financiers. 

Par ailleurs, nous avons aussi constaté qu’un nombre croissant d’entreprises chinoises accélèrent leur expansion internationale pour compenser l'intensification de la concurrence sur leur marché domestique. Fortes de leur savoir-faire manufacturier (innovation, maîtrise des coûts), notamment dans des secteurs comme les véhicules électriques, la technologie grand public ou encore les logiciels, les entreprises chinoises considèrent l’internationalisation non seulement comme une opportunité, mais comme une nécessité stratégique pour leur croissance. Bien qu’à des stades différents de développement international, des entreprises telles que Miniso, Xiaomi, Shenzhen New Industries (MedTech), China Pet Foods, Dobot, Envicool, Sunny Optical (lentilles optiques et modules de caméra) et Meitu ont toutes exprimé des ambitions claires d’étendre leur empreinte internationale. 

Focus : EHang, leader de la fabrication d’aéronefs eVTOL (cotée aux États-Unis sous le symbole EH) 

EHang est le leader chinois de la fabrication d’aéronefs eVTOL (décollage et atterrissage verticaux), spécialisé dans les appareils autonomes destinés au transport de passagers et de fret. Depuis 2021, le gouvernement chinois promeut le secteur du transport de basse altitude. De plus, en 2024, ce secteur a été désigné comme un nouveau moteur de croissance dans un rapport gouvernemental présenté lors du Congrès national du peuple. Ce secteur repose sur les drones, les hélicoptères, les eVTOL et les applications aéronautiques civiles (opérant en dessous de 1 000 mètres et pouvant être étendues jusqu’à 3 000 mètres en fonction des besoins). Basée à Guangzhou, la société a bénéficié d’un fort soutien du gouvernement local, notamment la mise à disposition à bas coût d’un immeuble pour son siège social. 

EHang bénéficie d’un net avantage concurrentiel, se positionnant comme l’acteur le plus avancé du secteur tant sur le plan technologique que réglementaire.

Sur le plan technologique, l’appareil offre une autonomie de vol d’environ 25 minutes, et des plans sont en cours pour doubler celle-ci à environ 48 minutes. L’entreprise a également mis en place des normes de sécurité strictes, ce qui renforce son leadership dans la mobilité aérienne autonome. Du point de vue réglementaire, les aéronefs eVTOL doivent obtenir 3 certificats de la CAAC (Administration de l’aviation civile chinoise) avant leur commercialisation : le certificat de type (TC), le certificat de production (PC) et le certificat de navigabilité (AC). Le certificat le plus difficile à obtenir (délai d’environ 3 à 5 ans) est le TC, car la CAAC doit approuver la conception de l’appareil (moteurs aéronautiques et hélices) ainsi que sa sécurité. Le PC, qui atteste qu’un constructeur a mis en place un système de qualité pour la production, est délivré en environ 3 à 6 mois. L’AC, qui permet à l’appareil d’être mis en service, est obtenu en environ 1 mois. Par ailleurs, les exploitants d’appareils doivent obtenir un certificat d’exploitation (OC) pour mener des activités commerciales. EHang est la seule entreprise à avoir obtenu les certificats TC, PC, AC et OC. Ses concurrents locaux accusent environ 2 ans de retard dans le cycle d’approbation réglementaire et aucun d’entre eux n’offre de solution sans pilote. La société a identifié 3 segments commerciaux clés pour ses appareils eVTOL : 

  • Tours touristiques aériens (de Point A à Point A) : La Chine dispose d’environ 15 000 sites où des opérateurs commerciaux peuvent déployer des eVTOL, plus rentables qu’un hélicoptère. 
  • Services de transport public (de Point A à Point B) : Lancement probable dans 2 ans, EHang formera une coentreprise avec un opérateur pour des vols reliant des itinéraires spécifiques (aéroports par exemple) à des points déterminés dans la ville. 
  • Services de taxi aérien (de Point X à Point Y) : qui nécessiteront la construction d’infrastructures de décollage et d’atterrissage dans les villes. 

L’eVTOL d’EHang se vend 2,4 MCNY (environ 330 000$), avec un coût de production de 120 000$ (marge brute d’environ 60%). Les coûts comprennent les matériaux, la main-d’œuvre et le service après-vente, avec environ un tiers des matériaux consacré au fuselage de l’appareil, un tiers aux systèmes de propulsion (batterie, moteur, hélice) et un tiers aux composants logiciels (puces, capteurs, LiDAR). Selon Conor Yang, le directeur financier d’EHang, un exploitant commercial peut rentabiliser son investissement en 2 ans seulement (marge d’exploitation d’environ 50%, environ 10 trajets par jour pendant 256 jours à un coût moyen de 500 RMB par trajet (contre 800–1 000 RMB pour un hélicoptère). En 2024, EHang a généré un CA de 63 M$ pour un volume de 216 unités, principalement vendues aux gouvernements locaux pour des visites touristiques. Bien que toujours déficitaire au niveau de l’EBITDA, l’entreprise a dégagé un free cash flow opérationnel positif de 16 M$ (90% du prix payé avant la livraison et délais de paiement fournisseur de 4 à 6 mois). Pour 2025, les ventes devraient atteindre 125 M$ pour environ 400 unités, avec moins de 10% destinés aux marchés étrangers. Bien que les ventes actuelles soient modestes par rapport à sa capitalisation boursière de 1,2 Md$, le carnet de commandes se diversifie pour inclure des clients privés. La société est cotée uniquement à New York ; une cotation à Hong Kong ou à Shenzhen serait avantageuse. 

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