Lettre ESG trimestrielle

06 mai 2025

Brésil & Pétrobras

Dix ans après le scandale du Lava Jato, un virage stratégique vers une gouvernance durable

 

De la chute à la reconstruction

En mars 2014, le Brésil bascule dans une crise politique et morale sans précédent. L’opération Lava Jato, lancée par la police fédérale dans le cadre d’une enquête sur une banale affaire de blanchiment d’argent, met à jour un réseau de corruption massif impliquant l’entreprise publique Petrobras (compagnie pétrolière publique brésilienne), Odebrecht (géant brésilien du BTP), Electrobras (première compagnie d’électricité d’Amérique latine), et l’élite politique nationale. Les chiffres sont vertigineux : près de 43 milliards de réais (8 milliards de dollars) auraient été détournés au travers d’un système de surfacturation organisé sur les marchés publics. À l’échelle nationale, le scandale entraîne la chute de ministres, de gouverneurs, et met en cause trois anciens présidents de la République (Fernando Henrique Cardoso, Luiz Inácio Lula da Silva et Dilma Rousseff). Il provoque aussi une onde de choc économique : chute de la Bourse, retrait des investissements étrangers, arrêt de centaines de projets d’infrastructure, et perte de milliers d’emplois, notamment dans le secteur de la construction. Pourtant, cette crise va aussi servir de catalyseur à une transformation en profondeur du modèle de gouvernance brésilien.

Gouvernance : un cadre réglementaire renforcé

Face à l’ampleur du scandale, le Brésil entame une série de réformes majeures, visant à restaurer la confiance et à encadrer plus strictement la gestion des entreprises publiques. En 2016, une loi pionnière impose de nouvelles obligations aux sociétés détenues par l’État fédéral : transparence renforcée, audit interne indépendant, publication de rapports d’intégrité, et supervision accrue des conseils d’administration. Les entreprises doivent dorénavant mettre en place des programmes d’intégrité complets, incluant l’évaluation des risques liés à la corruption, des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts, et des procédures rigoureuses de gestion des achats, telles que la rotation régulière des responsables d’approvisionnement. En parallèle, le Novo Mercado, segment premium de la Bourse brésilienne B3, s’impose comme un référentiel national de bonne gouvernance. Depuis sa réforme en 2017, les sociétés cotées y respectent des standards exigeants : actions ordinaires uniquement, minimum de 20 % d’administrateurs indépendants dans les conseils, création obligatoire de comités d’éthique, d’audit et de rémunération, et publication des politiques de rémunération des dirigeants.

Ce renforcement du cadre législatif et institutionnel a permis de créer une culture de la conformité plus structurée, qui va au-delà des obligations légales pour intégrer les meilleures pratiques internationales de gouvernance.

Petrobras : de l’ombre à la transparence

Symbole des dérives révélées par l’opération Lava Jato, Petrobras s’est retrouvée au centre d’une transformation profonde. Historiquement soumise à un contrôle étroit de l’État brésilien, qui détient 50,26 % des droits de vote, l’entreprise a longtemps été confrontée à une forte influence politique, source majeure de préoccupations pour les investisseurs. Ces inquiétudes se sont intensifiées avec le retour au Pouvoir du président Lula, ravivant les craintes d’un retour aux orientations stratégiques de la période 2012-2014, durant laquelle la dette nette de Petrobras avait dépassé cinq fois son EBITDA. Cette dérive s’expliquait en grande partie par des pertes liées non seulement à une politique de prix désavantageuse sur les carburants produits localement, mais aussi à des importations qui ont lourdement pesé sur la rentabilité du segment aval. Si le risque d’ingérence politique demeure, la gouvernance de Petrobras a connu des avancées significatives. L’adoption de la loi sur les entreprises publiques (SOE Law) et les réformes successives de ses statuts au cours de la dernière décennie ont renforcé la robustesse de sa gouvernance. Aujourd’hui, l’entreprise applique des règles strictes encadrant les décisions stratégiques : tout projet d’investissement de grande envergure doit être validé par des comités d’évaluation indépendants, tandis que les responsabilités sont clairement définies, avec des mécanismes de reddition de comptes à chaque niveau hiérarchique. Des dispositifs de traçabilité permettent de suivre en temps réel les processus décisionnels et les engagements contractuels. En cas d’irrégularité avérée, les dirigeants peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires, civiles ou pénales... Ce dispositif vise à limiter les dérives individuelles et à instaurer une culture d’entreprise axée sur l’éthique.

Par ailleurs, la surveillance externe a également été renforcée. Petrobras fait désormais l’objet d’un contrôle régulier par le Tribunal des comptes de l’Union, l’agence environnementale Ibama et la Commission des valeurs mobilières. Des sanctions importantes ont été prononcées en cas de manquements à la transparence, notamment après la catastrophe de Brumadinho, qui a profondément marqué l’opinion publique. Grâce à ces réformes, Petrobras a pu maintenir une stratégie d’allocation du capital centrée sur l’exploration et la production (E&P), tout en gagnant en autonomie dans la définition de sa politique de prix des carburants (cf. la hausse des prix du diesel en janvier 2025) et de distribution des dividendes.

Cependant, malgré les progrès considérables accomplis par Petrobras, nous avons choisi de ne pas investir dans cette entreprise en raison de notre politique d’exclusion des hydrocarbures non conventionnels. En effet, spécialiste du forage en eaux ultra-profondes, Petrobras réalise plus de 70 % de sa production d’hydrocarbures via cette méthode controversée. À ce jour, Petrobras n’a connu aucun incident, mais le forage en eaux ultra-profondes complique l’intervention en cas de fuite, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’environnement.

Environnement : entre volontarisme et contradictions

Sur le plan environnemental, le Brésil affiche des ambitions croissantes, même si le chemin reste semé d’embûches. En 2021, le pays adopte la Politique nationale de paiements pour services environnementaux (PNPSE), qui vise à récompenser financièrement les activités de préservation des écosystèmes, des bassins versants et des ressources naturelles, en s’appuyant sur les communautés locales et les savoirs traditionnels. Le Brésil a également mis en place un marché national du carbone, structuré autour de deux segments : un marché réglementé (assorti de quotas sectoriels) et un marché volontaire (où les entreprises peuvent compenser leurs émissions via l’achat de crédits certifiés). Le système inclut les projets REDD+, qui valorisent la réduction de la déforestation et la conservation de la biomasse dans les zones indigènes.

L’objectif officiel est ambitieux : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mais certaines décisions gouvernementales ont suscité des critiques, notamment l’assouplissement du Code forestier en 2012 ou les pressions politiques exercées sur Ibama pour autoriser des projets pétroliers dans des zones sensibles, comme l’embouchure de l’Amazone.

C’est d’ailleurs dans cette région que Petrobras prévoit de nouveaux forages. Si ces projets sont perçus comme stratégiques pour la sécurité énergétique, ils entrent en contradiction avec les objectifs climatiques du gouvernement. Cette tension illustre le dilemme auquel le pays est confronté : allier croissance économique et transition écologique.

 

Social : reconnaissance des droits autochtones et inclusion

La dimension sociale de l’ESG s’est elle aussi renforcée. En 2023, le Congrès brésilien tente de restreindre les droits des peuples autochtones aux seules terres occupées en 1988. Cette mesure est rejetée par la Cour suprême, qui réaffirme le droit des peuples autochtones à la restitution de leurs territoires ancestraux, y compris ceux dont ils ont été expulsés pendant la dictature militaire. Cette décision représente un tournant symbolique fort. Les territoires autochtones, qui couvrent près de 13 % du territoire brésilien, constituent un rempart essentiel contre la déforestation illégale et l’exploitation minière non réglementée. Pourtant, un tiers de ces réserves n’a toujours pas été officiellement homologué, faute de volonté politique et en raison de la pression croissante des intérêts agricoles et extractifs.

Le respect des droits autochtones devient un critère d’évaluation crucial pour les entreprises souhaitant attirer des capitaux internationaux. De plus en plus d’investisseurs exigent des garanties sociales, en particulier pour les secteurs extractifs opérant dans des zones à forte sensibilité écologique ou culturelle.

Dix ans après le début du Lava Jato, le Brésil a posé les bases d’un véritable modèle de gouvernance ESG. Les avancées sont notables : encadrement des entreprises publiques, responsabilisation des dirigeants, progrès en matière de climat et de reconnaissance des droits des peuples autochtones. Petrobras, autrefois au cœur du scandale, en est aujourd’hui une illustration emblématique : une entreprise en pleine mutation, à la fois moteur de croissance et acteur scruté de la transition énergétique. Mais les tensions subsistent. La conciliation entre exploitation économique, protection environnementale et inclusion sociale reste fragile. Le maintien du cap ESG exigera non seulement des lois, mais aussi une continuité politique, une société civile mobilisée, et un secteur privé engagé. Le Brésil, longtemps perçu comme vulnérable à la corruption et à la déforestation, pourrait bien devenir, s’il poursuit ses efforts, un modèle émergent de gouvernance responsable dans le Sud global.

À ce jour, GemEquity a investi 4,7% de ses actifs au Brésil, exclusivement sur Sabesp, la plus grande entreprise brésilienne d’assainissement des eaux. Acteur clé de la réforme du « Marco Legal do Saneamento », Sabesp contribue activement à l’élargissement de l’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement à l’échelle nationale. L’entreprise publique a été privatisée en juillet 2024, la participation de l’État de São Paulo étant ainsi passée de 50 % à 18 %. La gouvernance s’est, de fait, grandement améliorée, d’autant plus que Sabesp est soumise aux standards de gouvernance de la Bourse de New York : une majorité de directeurs indépendants, un comité fiscal indépendant, le vote des plans de rémunération en actions, un service d’audit interne ou encore la mise en place d’un code de conduite. Par ailleurs, Sabesp a développé de nombreuses initiatives pour améliorer sa performance ESG. Sa mission principale est l’universalisation de l’accès à l’eau et à l’assainissement. Dans cette optique, Sabesp prévoit d’investir 47,4 milliards de réais (8,3 milliards de dollar) d’ici 2028, tout en maximisant les impacts environnementaux et sociaux positifs, notamment via la préservation de la biodiversité.

 

 

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