Cogérante de l'ensemble des stratégies de Gemway Assets, société de gestion spécialiste des pays émergents, Ariel Wang cumule dix-huit ans d'expérience sur les marchés financiers. Elle cogère notamment GemChina (FR0013433067), fonds labellisé ISR investi en valeurs chinoises (57 millions d'euros d'encours sous gestion ; - 7,19 % sur cinq ans contre - 11,01 % pour son indice de référence, le MSCI China dividendes nets réinvestis). Entretien.
Depuis septembre, les annonces du gouvernement chinois pour stimuler l'économie et les marchés financiers se sont multipliées. Quel premier bilan peut-on en tirer ?
Alors que la croissance chinoise était sous forte pression et que des doutes subsistaient quant aux priorités de Pékin, le pivot politique de septembre dernier était une surprise positive. Depuis, de nombreuses mesures d’assouplissement ont été annoncées, couvrant la politique monétaire (réduction du ratio de réserve obligatoire, baisse des taux directeurs), l’immobilier (taux hypothécaires et restrictions d’achat assouplis), la dette locale et les marchés actions. La dernière annonce majeure porte sur un plan de 12 trillions de yuans (1 700 milliards de dollars, 10 % du PIB) visant à alléger le fardeau financier des collectivités locales sur cinq ans.
Depuis, la croissance du PIB s’est accélérée, passant de 4,6 % au troisième trimestre à 5,4 % au quatrième. Les ventes au détail ont progressé (+3,7 % en décembre), soutenues par les programmes de reprise d’anciens équipements (20 milliards de dollars en 2024, étendus à 40 milliards en 2025). L’assouplissement a aussi permis de maintenir une production industrielle solide, dopée par l’anticipation de nouveaux droits de douane. Toutefois, le climat reste contrasté : l’indice PMI manufacturier de la NBS est retombé en contraction (49,1 en janvier) après trois mois d’expansion, et la pression déflationniste persiste .
Alors que les États-Unis viennent d’annoncer leurs nouvelles taxes sur la Chine et à l’approche de l’Assemblée nationale populaire en mars , un renforcement des mesures de relance nous semble probable. Nous anticipons le maintien de l’objectif de croissance à 5 % et une hausse du déficit fiscal à 4 %, un niveau inédit pour un gouvernement historiquement rigoureux sur la discipline budgétaire.
Que change le retour de Donald Trump pour l'économie chinoise ?
Pendant son premier mandat, Donald Trump a déclenché une guerre commerciale avec la Chine. L’administration Biden a largement maintenu une position ferme, avec des politiques ciblant les exportations chinoises et l’accès aux technologies critiques.
Pour le second mandat de Trump, nous n’anticipons pas de changement fondamental dans la rivalité entre les deux pays. L’impact de son élection pourrait cependant être moins négatif qu’attendu. Comparé à Biden, Trump nous parait un président plus ouvert à la négociation. Le taux de 10 % sur les droits de douane reste bien en deçà des attentes. Notre scénario privilégie une augmentation graduelle des tarifs, mais nous restons sceptiques quant à des hausses de 60 % ou plus sur l’ensemble des importations chinoises, comme évoquées dans la rhétorique de campagne du candidat Trump.
Par ailleurs, de nombreux exportateurs chinois ont déjà anticipé des hausses de 20 à 25 %, et s’y sont préparés notamment en diversifiant leurs sites de production. Un renforcement des mesures d’assouplissement de la part de Pékin nous semble également très probable afin d’atténuer l’impact des tarifs sur son économie. Nous ne serions pas surpris par des annonces en la matière avant la session de l’Assemblée nationale populaire en mars, avec des mesures dont l’intensité suivra celle de la pression commerciale. Pour l’économie chinoise, la reprise de la demande domestique s’avère bien plus cruciale que l’impact direct des droits de douane. Mais celle-ci est conditionnée par une stabilisation du marché immobilier et le retour de la confiance.
Malgré ces éléments positifs, n'est-ce pas trop risqué de s'exposer à la Chine après une année 2024 très volatile ?
La volatilité de la bourse chinoise a effectivement augmenté, mais les raisons ont évolué. Si, par le passé, le resserrement réglementaire et monétaire, la gestion du Covid, la guerre commerciale avec les États-Unis et la crise immobilière en étaient les principaux facteurs, la forte volatilité de 2024 est essentiellement liée aux fondamentaux économiques et aux mesures de relance. Elle s’explique également par la faible exposition des investisseurs et par des mouvements de liquidité encore erratiques.
Grâce à l’engagement de Pékin, les perspectives économiques se sont sensiblement améliorées, renforçant ainsi l’attractivité du pays. Dans le contexte actuel, nous estimons donc qu’il serait une erreur de ne pas s’exposer au marché chinois, relativement décorrélé des grandes places boursières internationales et affichant des valorisations attractives. En effet, l’indice MSCI Chine se négocie à moins de 10 fois les bénéfices, contre 11 fois pour l’indice des pays émergents et 18 fois pour l’indice mondial. Si vous avez une tolérance au risque élevée et un horizon d’investissement supérieur à un an, cette zone mérite donc toute votre attention.
Comment bien investir pour capter cette hausse ?
Il ne faut pas adopter une approche globale, mais plutôt viser des sociétés en particulier. Certains leaders chinois ont renforcé leur compétitivité grâce à leur capacité d'innovation, aux économies d'échelle et à un bilan solide leur permettant de s'autofinancer. Ainsi, ils disposent d'une bonne visibilité sur leur croissance à moyen terme. L'intelligence artificielle développée par DeepSeek illustre bien la capacité des entreprises chinoises à s'adapter.
Pour les entreprises cotées, Xiaomi et CATL figurent parmi les exemples de sociétés chinoises qui ont su s'imposer sur les marchés étrangers. Sans oublier BYD, qui ne se limite pas à la fabrication automobile, mais maîtrise l'ensemble de la chaîne de valeur, des semi-conducteurs aux batteries. Alors que Tesla s'échange à 130 fois les bénéfices estimés pour 2025, avec une croissance bénéficiaire de 33 %, ce ratio tombe à 15 fois pour BYD, malgré une croissance quasi identique. Nous apprécions également Shenzhen Inovance, un leader de l'automatisation industrielle, ainsi que Sunny Optical, un acteur majeur dans la fourniture de modules de caméras pour les smartphones et l'automobile.
En revanche, nous restons prudents vis-à-vis de certains acteurs du e-commerce, comme JD.com, qui bénéficie des programmes de relance à très court terme, mais doit investir davantage pour défendre sa part de marché face à des concurrents de grande envergure.