Nous sommes partis à Washington du 22 au 25 octobre afin de rencontrer des ministres des finances et des banquiers centraux à l’occasion des réunions d’automne du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM). L’opportunité pour nous de faire un point sur les enjeux macroéconomiques globaux ainsi que les Policy-mix menés par de nombreux pays de notre univers d’investissement. L’occasion également de prendre le pouls des investisseurs internationaux quant à leur perception des marchés, alors que ces réunions avaient pour particularité cette année de se tenir à quelques jours des élections générales américaines. Des investisseurs qui ont adopté un positionnement prudent en amont des élections US et face aux incertitudes géopolitiques, et qui, depuis l’inflexion de la politique de la Fed, portent leur attention davantage sur la politique commerciale et budgétaire américaine. Les banquiers centraux émergents se sont montrés également plus prudents quant à la poursuite de leur cycle d’assouplissement monétaire, notamment en Amérique latine. Les primes de risque faibles orientent l’intérêt des investisseurs vers les situations spéciales émergentes, principalement au sein du segment haut rendement. Le soutien des institutions multilatérales favorise l’accès aux marchés des pays émergents les plus fragiles, mais la perspective d’une
amélioration des flux de financements à destination des pays émergents reste fragile et à la merci des conditions financières en USD. Un contexte qui nous incite à privilégier les cas d’investissements spécifiques relativement décorrélés du marché et à même de bénéficier d’une potentielle résolution des conflits en Ukraine et au Proche-Orient. Dans ce carnet de voyage, nous faisons un point sur la situation de l’Egypte et de la Turquie, deux pays qui, selon nous, remplissent ces critères, ainsi que sur le Panama qui représente un cas d’investissement intéressant au sein de la catégorie investment grade.
Focus Pays : EGYPTE - République présidentielle de 107,3M habitants - PIB (ppa) de 2.230 Md$
Les autorités égyptiennes, soucieuses de préserver la cohésion sociale et la croissance économique, souhaitent renégocier les objectifs et le délai d’application du programme d’assistance du FMI. Courant octobre, le Président avait suggéré déjà une révision du programme de 8 Md$ dans le cas où les effets économiques des tensions géopolitiques affecteraient de manière insupportable la population du pays. Le programme requiert une réduction des subventions notamment sur le carburant et l’électricité ainsi que des réformes budgétaires comme monétaires qui, selon les autorités, sont menées dans un contexte régional et global particulièrement difficile. Si le Premier ministre a par la suite également suggéré que l’Egypte comptait réévaluer le calendrier autour des réformes, il a rappelé que le pays avait jusque-là respecté ses engagements vis-à-vis du programme, et ce, dans un contexte compliqué. Sur le plan budgétaire, des progrès ont été réalisés dans le contrôle des dépenses hors budget et le respect des plafonds de la facilité de crédit auprès de la banque centrale. Cependant, les recettes fiscales sont inférieures aux attentes, en partie en raison de facteurs conjoncturels, tels que la baisse des revenus du canal de Suez, mais également par l'absence des gains structurels attendus. Le FMI prévoit que la réforme de la TVA pourrait augmenter les recettes fiscales jusqu'à 1 % du PIB. Un report potentiel de cette réforme remettrait en question la capacité du gouvernement à mobiliser davantage de revenus alors que les recettes fiscales ne représentaient que 12,2 % du PIB en 2023, un niveau particulièrement bas.
L'ajustement actuel porté sur les coupes budgétaires, plutôt que sur la mobilisation des revenus, est clairement sous-optimal. Selon la dernière mise à jour des perspectives de l'économie mondiale du FMI, le déficit courant pour l’exercice 2025 devrait atteindre 22,1 Md$ (6,4 % du PIB), contre 17,6 Md$ précédemment (4,9% du PIB). Une révision de 4,5 Md$ due à la baisse des revenus du canal de Suez causée par le conflit régional. Bien que l’Arabie saoudite ait annoncé un financement de 15 Md$, l’impact net sur la balance des paiements pourrait être limité, car cet apport devrait être compensé par une hausse des importations. Le programme de privatisation de l’Égypte stagne également, aucun projet majeur n'ayant été finalisé en 2024. Les autorités cherchant a priori, par le biais du nouveau ministre de l'Investissement et du Commerce Extérieur, à maximiser la valeur des actifs. Les ventes d'actifs de l'État devraient être inférieures à l'objectif de 3,6 Md$ fixé pour l’exercice 2025, après 2 Md$ réalisés l'année précédente contre un objectif de 2,8 Md$. Un retard qui risque de creuser le besoin de financement du pays. La stabilité apparente de la livre égyptienne face au dollar américain depuis la dévaluation de mars 2024 a suscité des préoccupations quant à l’engagement des autorités à transiter vers un régime de change flexible. L’absence de volatilité suggère que le taux de change n’est pas utilisé comme amortisseur de chocs externes. Une rigidité qui pourrait éroder la confiance des investisseurs dans la libéralisation promise de la politique de change. Le FMI a entamé sa quatrième revue du programme EFF, avec la volonté d’établir un calendrier de réforme plus adapté plutôt que de proposer un financement additionnel. Les investisseurs vont surveiller attentivement les discussions en cours pour évaluer la viabilité du programme. Des discussions avec le Fonds font état également d’un possible accès à la facilité pour la résilience et la durabilité (RSF), mécanisme qui pourrait fournir un soutien supplémentaire au pays.
Par ailleurs, l’Égypte mène une étude auprès des ménages sur l’impact des réformes menées au cours des deux dernières années, afin de mieux protéger les plus vulnérables. Malgré les signes de fatigue vis-à-vis des réformes, nous pensons que les autorités sont déterminées à poursuivre les réformes structurelles nécessaires avec un FMI qui devrait continuer de soutenir le pays, conscient des efforts réalisés. Cependant, les risques de mise en œuvre restent élevés, en particulier sur la flexibilité de la devise et la poursuite des réformes fiscales. Au 14 novembre, le rendement moyen de la dette de l’Egypte libellée en USD est de 9,3% pour une prime de risque de 550pb.
Nous sommes toujours constructifs vis-à-vis du cas d’investissement égyptien, mais, après la forte de détente de 390pb de la prime de risque du pays cette année, nous adoptons un positionnement dorénavant plus neutre.
Focus Pays : TURQUIE - République présidentielle de 85,8M habitants - PIB (ppa) de 3.460 Md$
Les autorités monétaires ne se focalisent plus sur les chiffres d’inflation mensuels et n’excluent plus dorénavant la possibilité de baisses prochaines du taux directeur. Elles ont atteint 2 de leurs 3 objectifs, à savoir garantir un niveau de réserves suffisant et réduire l’encours des comptes bancaires en Lire turque couverts contre USD (KKM). Alors que la désinflation est en cours, celle-ci se fait plus lentement qu’espérée. La cause est à chercher du côté de l’inflation dans les services, en particulier les loyers et les dépenses d’éducation. Malgré des taux réels supérieurs à 20%, l’inflation reste donc élevée (2,8% par mois en moyenne) et bien supérieure au rythme nécessaire pour atteindre l’objectif de 14% de la Banque centrale (CBRT) à fin 2025. Avec une amélioration générale des anticipations d’inflation auprès des agents économiques comme des acteurs financiers, les autorités monétaires pensent que tous les déterminants de l’inflation sont alignés pour davantage de désinflation en 2025. L’utilisation par la CBRT d’indications plus explicites sur l’orientation de sa politique monétaire future (forward guidance), comme le maintien des taux actuels jusqu’à ce que l’inflation suive la trajectoire baissière souhaitée, semblerait une option pertinente à ce stade. Pour le FMI, la politique d’ajustement graduel face à l’inflation n’est pas optimale, faisant peser un risque de ralentissement marqué de l’activité avec davantage de durcissement monétaire si l'inflation mensuelle ne baisse pas suffisamment. La politique fiscale trop expansionniste est également pointée du doigt par le Fonds. Bien que le déficit budgétaire ait légèrement baissé en 2024, les dépenses liées au séisme et au régime de retraite anticipée exercent une pression significative, et le déficit de trésorerie devrait augmenter à 4,6% du PIB cette année, avant de diminuer progressivement.
Le FMI recommande une consolidation budgétaire à hauteur de 2.5% du PIB basée sur la rationalisation des dépenses, l’unification des taux de TVA ainsi que la réduction des subventions et des investissements non essentiels, ce qui pourrait diminuer l’inflation de 3 à 5 points en 2025. La hausse du salaire minimum prévue pour décembre constitue un autre risque pour la désinflation. Cette augmentation, de l’ordre de 25-30%, risque de freiner la baisse de l’inflation en raison d'un effet de report sur les prix. D’après le FMI, les récentes hausses du salaire minimum ont ajouté environ 20 points à l’inflation en 2023 et 10 points en 2024. Une baisse des taux de la CBRT avant de mesurer l'impact de ces décisions pourrait inverser les progrès récents en matière de désinflation. Le FMI prévoit une inflation annuelle de 43% d'ici la fin de l'année, baissant à 24% fin 2025, puis se stabilisant autour de 15%. En appliquant des politiques fiscales et monétaires plus strictes et en modifiant l'indexation des salaires, l'inflation pourrait atteindre 14% en 2025 et un niveau à un seul chiffre dès 2027, au prix d’un compromis sur la croissance qui pourrait ralentir à 0,8% en 2025. Le gouvernement est plus optimiste, projetant une croissance de 4% en 2025 et minimisant l'impact de la politique désinflationniste sur l'économie. Des doutes subsistent par ailleurs quant à la tolérance du gouvernement pour une potentielle hausse du chômage. Pour l’heure, les autorités budgétaires continuent de bénéficier du soutien du pouvoir politique dans sa lutte contre l’inflation. Avec un taux de chômage historiquement bas de 8,5%, la probabilité est faible de voir des pressions politiques pour un assouplissement du Policy-mix. Par ailleurs, les autorités budgétaires souhaitent dorénavant aligner les hausses du salaire minimum et des prix administrés sur les anticipations d’inflation des agents économiques. Sur le plan extérieur, le déficit courant est en baisse, passant de 6,6 % à 2,5 % du PIB au premier semestre 2024, tandis que les réserves ont fortement augmenté.
Le FMI estime que le déficit courant atteindra 2,2% du PIB en 2024, ce qui nécessiterait encore des ajustements pour atteindre un niveau structurel de -0,3%. La Livre turque reste surévaluée, mais le FMI soutient la politique d'intervention de la Turquie qui permet d’éviter une déstabilisation des attentes d'inflation dans la phase de normalisation du Policy-mix. Malgré un sentiment globalement positif des investisseurs, il existe des craintes que les autorités assouplissent le Policy-mix prématurément. La décision sur le salaire minimum en décembre sera un indicateur crucial des intentions politiques. Dans l’intervalle, le FMI recommande de maintenir des taux élevés. La persistance d’une inflation séquentielle élevée incite à un resserrement prolongé, et une baisse prématurée des taux serait perçue comme un signal négatif de l’engagement des autorités envers la désinflation.
Nous restons toujours confiants dans la capacité des autorités turques à maintenir un policy-mix favorable à la poursuite de la désinflation. Une vue partagée par les agences de notations qui ont récemment remonté la notation financière du pays de la catégorie B à BB, mais également par les investisseurs avec une prime de risque moyenne en baisse de 60pb depuis le début d’année à 240pb. Sur ce niveau, nous privilégions sur la courbe en dollar les maturités plus courtes, et sur la courbe en monnaie locale, la partie court terme non couverte.
Focus Pays : PANAMA République présidentielle de 4,5M hab. - PIB (ppa) de $186Md
Le nouveau gouvernement panaméen doit faire face à de nombreux défis. Il subit les conséquences de la fermeture de la mine de cuivre Cobre Panama, doit faire face à un déficit budgétaire croissant, et risque de voir la notation financière du pays perdre sa qualité de crédit "investment grade". La fermeture de la mine de cuivre en novembre dernier, suite à la décision de la Cour suprême, demeure un enjeu critique pour le Panama. Ce site minier représente un potentiel économique majeur, et son inactivité expose le gouvernement à une possible procédure d’arbitrage à hauteur de 24% du PIB. Les autorités semblent toutefois déterminées à rouvrir la mine, conscientes des risques juridiques et de l’impact positif sur les revenus de l’État. Dans la province de Coclé, où elle est implantée, l’opposition à l’exploitation minière a faibli, en partie à cause du chômage croissant, passé de 4,1% à 13% depuis la fermeture.
Le ministre des Finances, Felipe Chapman, a insisté sur l’importance d’exporter le cuivre extrait et envisage une réouverture dès l’année prochaine. Un accord rapide entre les parties serait favorablement accueilli par le marché. Sur le plan budgétaire, le déficit du secteur public, qui devait initialement passer de 3% en 2023 à 2% cette année, a atteint 6,4% en août. Cette détérioration est attribuée à une augmentation des dépenses d’investissement, des recettes fiscales décevantes et au règlement d’arriérés accumulés. Le FMI, qui jugeait l’objectif de déficit initial de 2% trop ambitieux, avait recommandé une réduction progressive, suggérant un déficit de 4% pour 2024. Avec un déficit attendu d’au moins 6%, le gouvernement a dépassé ces recommandations. Une modification de la loi de responsabilité budgétaire, entrée en vigueur le 28 octobre, a permis d’assouplir ces objectifs : un déficit de 4% pour 2025 (contre une limite initiale de 1,5%), avec une réduction progressive jusqu’à 1,5% en 2030. Le ratio dette/PIB, actuellement à 54,6%, est également visé pour être réduit à 40% d’ici 2040. Ces ajustements doivent permettre une consolidation budgétaire plus qualitative, moins dépendante de coupes dans les dépenses d’investissement, déjà faibles au regard des normes historiques.
Cependant, le gouvernement devra présenter un plan crédible pour rassurer les investisseurs et maintenir la note de crédit "investment grade". Fitch a rétrogradé la note à BB+ en mars, tandis que Moody’s et S&P la maintiennent légèrement au-dessus du niveau spéculatif, mais avec des perspectives négatives. La capacité à atteindre les objectifs budgétaires et à réduire le ratio dette/PIB est cruciale pour conserver ce statut. La gestion budgétaire se heurte à des contraintes politiques. Le parlement, où le gouvernement dispose d’une faible majorité (15 sièges sur 71), a rejeté deux propositions visant à réduire les dépenses avant d’adopter un budget 2025 similaire à celui de 2024, avec un déficit de 3,8%. Le président Mulino, toutefois, a réussi à bâtir une coalition informelle pour faire avancer son agenda législatif. L’objectif central reste de réduire le déficit à 1,5% d’ici 2030, une tâche complexe en raison de dépenses rigides et de l’aversion politique pour les hausses d’impôts.
Malgré les défis, la croissance économique du Panama devrait rester solide, autour de 4%. Le pays bénéficie de nombreux atouts : sa position stratégique, le canal de Panama, une économie ouverte, la dollarisation qui élimine les risques de change, un potentiel pour le nearshoring, et un cadre institutionnel robuste. Cependant, les indicateurs de gouvernance et de capital humain restent faibles, et le système de retraite n’est pas viable en l’état. Une réforme est en préparation pour 2025, le gouvernement cherchant actuellement à bâtir un large consensus. Une augmentation de l’âge de la retraite ou une fusion des systèmes de retraite sont des pistes envisagées. Parallèlement, les autorités envisagent de diversifier les sources de financement domestique, actuellement limitées à 9,6% de la dette publique. Une diversification qui limiterait la dépendance aux marchés internationaux. Malgré une détérioration fiscale importante, le Panama conserve une situation relativement favorable grâce à une dette modérée et un accès aux marchés financiers. Le pays n’est pas en crise et n’envisage pas de programme avec le FMI. La présentation d’un plan budgétaire crédible à moyen terme n’en est pas moins essentielle pour maintenir la confiance des investisseurs.
Le processus politique démocratique prend du temps et devrait à mesure de l’avancement des différents sujets (plan fiscal, mine de cuivre, système de retraite, inégalités) être à même de rassurer les investisseurs.
Nous restons positifs sur les obligations du pays qui avec un rendement moyen de 7% et une prime de risque moyenne de 300pb au 14 novembre compensent adéquatement les investisseurs pour le risque pays à moyen terme.