Durant ces deux semaines, nous avons rencontré 35 entreprises, principalement chinoises : Naura Tech et Will Semi dans la technologie, Xiaomi, Bilibili, Tencent Music, Trip.com et Alibaba dans les communications, BYD Electronics, Shenzhen Megmeet, Haitian International, Ningbo Oriental Wires & Cables, Zhejiang Sanhua, Goneo Group, OPT Machine Vision, Jiangsu Hengli et CIMC Enric dans l’industrie, New Oriental Education, Atour, Tingyi et Imeik dans la consommation, Wuxi Bio/Apptec et Shenzhen
Mindray dans la santé.
À cela s’ajoutent les rencontres avec 3 sociétés technologiques taïwanaises (Vanguard, Realtek, KYEC), deux entreprises coréennes (KB Financial, Samsung Life), un groupe industriel thaïlandais (Siam Cement), Jollibee Foods, une chaîne de restaurants philippins et Eicher Motors, le producteur des Royal Enfield en Inde.
Dans l'ensemble, le climat des affaires nous est décrit comme morose par la plupart des entreprises chinoises rencontrées. Les soutiens supplémentaires annoncés en mai, notamment dans l'immobilier - où le gouvernement pourrait désormais intervenir en tant qu'acheteur de dernier ressort - ainsi qu’en matière fiscale - l'émission d'obligations d'État ayant atteint un nouveau record depuis octobre 2023 - limite le risque baissier. Toutefois, selon Ke Holding, expert en transactions immobilières, des mesures supplémentaires sont nécessaires pour inciter les investisseurs à revenir sur un marché immobilier encore baissier.
Les groupes industriels enregistrent une demande locale hétérogène, soutenue uniquement par les 2 moteurs que sont les exportations et la production de voitures électriques. Jiangsu Hengli, Haitian Intl, Zhejiang Sanhua et OPT Machine Vision se montrent prudents quant à la demande domestique, ils renforcent et accélèrent leurs investissements à l'étranger. Cette prudence s'oppose à l’attitude confiante adoptée par les dirigeants de Naura Tech, fournisseur d’équipements semi-conducteurs, qui bénéficient d’un "meilleur marché de tous les temps" ainsi que d’une "excellente visibilité" sur les investissements technologiques favorisés par Pékin (tendance structurelle en faveur de la production locale vs. importation). Confiance que l’on retrouve aussi dans certains segments de la consommation : les entreprises Trip.com, Tencent Music et New Oriental Education, affichent leur optimisme quant à la durabilité de leur croissance, soutenue par une amélioration structurelle de la demande. Cela survient alors même que l’économie est affectée par la dégradation de la consommation, avec une classe moyenne de plus en plus attentive au rapport qualité-prix.
A Taïwan, le moral reste très bon. Malgré la concurrence chinoise, Vanguard reste confiante concernant ses perspectives de croissance grâce à la délocalisation des clients qui quittent la Chine. L'entreprise KYEC, un fournisseur clé de tests pour les plaquettes et circuits intégrés, se montre enthousiaste face aux opportunités offertes par Nvidia Blackwell.
Focus Valeur : Xiaomi Corporation (Capitalisation boursière : 58 Md$ - CA : 46 Md$)
Alors que de nombreuses entreprises chinoises ont maintenu une position prudente en raison d'un environnement macroéconomique encore faible, Xiaomi, le leader de l'électronique grand public et de la fabrication intelligente, se distingue par son optimisme. Le lancement récent (mars 2024) de son premier véhicule électrique (VE) est un succès. L'entreprise se positionne ainsi comme un acteur disruptif sur un marché très concurrentiel. Sa berline électrique, la SU7, a enregistré plus de 88 000 commandes fermes en un mois seulement. La direction a réitéré sa
confiance quant à la livraison de 100 000 véhicules en 2024, avec un potentiel de 120 000 si la chaîne d'approvisionnement le permet. Grâce à la popularité des modèles haut de gamme (représentant 43% des commandes), la marge brute est attendue entre 5 et 10% cette année, alors que le point mort n’est pas la priorité immédiate. La direction s'est fixé l'objectif ambitieux de figurer parmi les cinq plus grands constructeurs automobiles mondiaux, considérant les véhicules électriques (VE) comme un pilier essentiel de son écosystème ("Human x Car x Home"), lequel devrait permettre des connexions fluides entre les smartphones, les appareils d'IoT et les VE grâce à son système d'exploitation HyperOS, renforçant ainsi la fidélisation de la clientèle.
Concernant son activité principale, la forte attractivité de Xiaomi (specs exceptionnelles et excellent rapport qualité-prix) et sa stratégie de premiumisation réussie ont permis au groupe d’atténuer la pression compétitive et la faible demande de smartphones. Avec un prix de départ compris entre 1 000 et 2 999 RMB pour la série Redmi et 3 999 RMB pour la série Xiaomi, Xiaomi a opéré un changement stratégique en 2020 pour se concentrer sur une offre haut de gamme. Aujourd'hui, elle domine la gamme de prix 4 000-6 000 RMB avec 28% de parts de marché (vs. une part de marché globale de 14 % en Chine) et réalise des progrès significatifs dans la gamme 5 000-6 000 RMB (10 % de parts de marché vs.4 % au T1 2023).
Le succès sur les marchés internationaux constitue un autre facteur de croissance solide (75% du volume en 2023). En tant que 3ème fabricant mondial de smartphones (14 % de parts de marché), juste derrière Samsung (20 %) et Apple (14 %), sa forte présence est visible dans de nombreux endroits (Top 3 dans 56 pays et régions). La direction est confiante dans ses perspectives de croissance. Elle a relevé son objectif sur les smartphones en 2024 de 5M, à 160-165M d'unités, par suite d’un T1 solide. Cette dynamique est également partagée par le segment de l'AIoT (30 % des revenus en 2023), la plus grande plateforme IoT au monde offrant plus de 1 000 références. Son offre de produits comprend des appareils portables, électroménagers, des PC , des tablettes, des scooters électriques ou encore des produits de soins personnels (brosse à dents électrique, etc…). Au T1 2024, Xiaomi a connecté 786 millions d'appareils (smartphones, tablettes et ordinateurs portables) dans le monde, en hausse de 27% a/a. Avec un marché international encore sous-exploité (seulement 30% des revenus AIoT malgré une taille 2 à 3 fois supérieure à celle de la Chine), l'AIoT reste un moteur de croissance clé et contribue positivement à la marge (expansion constante de la marge brute de 8% en 2017 à 20% au T1 2024).
Focus Valeur : Naura Tech (Capitalisation boursière : 24 Md$ - CA : 6 Md$)
Dans le cadre de la détérioration des relations sino-américaines, les Etats-Unis restreignent de plus en plus les exportations de technologies occidentales (américaine, européenne, etc…) vers la Chine. Dans ces conditions, la Chine n’a pas d'autre choix que de développer son propre savoir-faire dans les semi-conducteurs (fonderies, mémoires, machines pour la fabrication de semi-conducteurs). Ainsi les fonderies comme SMIC ou Hua Hong Semi ont accéléré leurs investissements. Ces dépenses d’investissement favorisent particulièrement les équipementiers chinois comme Naura Tech et AMEC. L'équipe dirigeante de Naura affiche une forte confiance dans la pérennité de sa croissance, anticipant une hausse d'au moins 30% du CA et des bénéfices en 2024 et 2025. Fondée en 2001, cette entreprise aux capitaux étatiques s'impose déjà comme un leader national dans les domaines du PVD (déposition) et de l'ICP-RIE (gravure sèche). Sa part de marché devrait s'accroître de manière significative dans les années à venir, passant de 7% en 2021-23 à 12% en 2023-25. Naura se démarque de ses concurrents chinois, majoritairement spécialisés, par la diversité de son portefeuille produits, couvrant les procédés thermiques, le dépôt, la gravure sur silicium et les outils de nettoyage pour les fabs de semi-conducteurs. Cette diversification lui permet d’adresser un vaste marché, estimé à 18 Md$ en 2023. Pour soutenir ses plans d'expansion, l'entreprise élargit continuellement son offre de produits et investit massivement en R&D (déjà 4 000 employés vs. 10 000 pour les leaders mondiaux).
Avec un PER de 31,3x en 2024 et 23x en 2025, l’action Naura s’échange dans le bas de sa fourchette historique. Nous apprécions la position unique de la société et la visibilité de ses bénéfices. Nous avons investi 2% de GemEquity, 2,5% de GemAsia et 4,5% de GemChina dans la société.
Les autorités coréennes cherchent, structurellement, mais aussi par intérêt politique (poids électoral croissant des investisseurs particuliers passés de 6 à 14 millions post COVID), des moyens pour réduire de manière structurelle la fameuse décote coréenne. Malgré la défaite du parti au pouvoir lors des élections législatives d’avril dernier, ce sujet reste au centre des discussions. Nous estimons aussi qu’à l’image du « Name and Shame » japonais, le "Corporate Value Up Program" coréen devrait avoir un impact durable sur les titres coréens les plus dévalorisés. Sur le plan législatif, nous anticipons des annonces supplémentaires concernant la responsabilité fiduciaire des conseils d'administration envers les actionnaires, ainsi que des incitations fiscales comme la taxation des dividendes et la réduction d'impôts pour les rachats d'actions. Une meilleure gestion du capital est également anticipée, visant à aligner les intérêts des actionnaires majoritaires et minoritaires. Dans cet environnement, les banques coréennes semblent attractives avec des initiatives déjà en place pour optimiser la valorisation et gérer le rendement total avec un accent sur les rachats d'actions. Les incertitudes liées à l'indemnisation des particuliers pour les pertes liées aux ELS (equity-linked securities) sont désormais dissipées, tandis que l’exposition au financement de projets immobiliers devrait avoir un impact limité sur les bénéfices des grandes institutions dotées de bilans solides. Dans ce cadre, nous apprécions particulièrement KB Financial.
Focus Valeur : KB Financial Group (Capitalisation boursière : 23 Md$ - Total des dépôts : 311 Md$) :
KB Financial, l'un des plus grands établissements financiers coréens, inclut la Kookmin Bank, l’une des principales banques commerciales du pays. Ses filiales opèrent dans divers secteurs comme la banque commerciale, les cartes de crédit, la gestion d'actifs, l'assurance (vie et non-vie) et les marchés de capitaux. Au 1T2024, le groupe affichait des actifs consolidés de 544 Md$, des dépôts consolidés de 311 Md$ et des capitaux propres de 42 Md$.
Après une année 2023 difficile marquée par une pression réglementaire accrue et une hausse rapide des taux (+300pb depuis août 2021, stabilisés à 3,5%), KB et les autres banques bénéficient désormais d'un environnement plus favorable. Dans un contexte de taux durablement plus élevés, l’activité de prêts aux entreprises devrait limiter la contraction de la marge nette d'intérêt (NIM) et améliorer les revenus nets d'intérêts. KB prévoit une stabilisation de ses coûts de crédit après plusieurs années de provisions élevées et de classification agressive des créances douteuses. En partenariat avec 9 autres grandes institutions financières, KB participe à des prêts syndiqués de 1 000 Mds KRW (0,7 Md$) et jusqu'à 5 000 Mds KRW (3,6 Md$) pour soutenir la restructuration immobilière, avec une exposition limitée - 95 % des tranches seniors concernant les actifs de qualités garantis par les groupes Samsung et Hyundai- et une confiance élevée dans le retour sur investissement, similaire à l'après-crise financière mondiale.
Première banque coréenne à annuler ses propres actions rachetées en 2019, KB est déterminée à adopter une politique de retour aux actionnaires plus agressive. Avec un ratio CET1 supérieur à 13%, le bilan est solide. Le groupe prévoit d'augmenter le dividende par action et de réduire le nombre d'actions en circulation. Un plan détaillé pour améliorer durablement la valeur de l'entreprise sera présenté en fin d'année. L’action de KB se négocie avec un PER 2024 de 6,2x, un P/B de 0,50 et un rendement du dividende de 4%. GemEquity détient une position de 1% sur le titre.