PRUDENCE DES BANQUES CENTRALES FACE A UN DURCISSEMENT DES CONDITIONS EXTERNES
Nous sommes partis à Washington du 15 au 19 avril afin de rencontrer banquiers centraux et ministres des finances à l’occasion des réunions de printemps du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM).
L’opportunité pour nous de faire un point sur l’état des enjeux macroéconomiques globaux ainsi que des Policy-mix menés dans de nombreux pays de notre univers d’investissement. La réactivité des banques centrales émergentes à ajuster leur forward guidance en intégrant le durcissement récent des conditions financières en dollar US illustre une fois encore le professionnalisme des autorités monétaires EM et plus largement l’amélioration du cadre institutionnel de la classe d’actif. Nous retenons également de notre séjour sur place l’intérêt croissant porté par les investisseurs internationaux sur les situations pays dites « spéciales ». Nous vous proposons dans ce carnet de voyage un point fondamental concernant trois de ces pays « risqués » qui constituent selon nous des cas d’investissement attractifs, à savoir l’Argentine, la Turquie, et L’Egypte.
Argentine (République présidentielle de 46,6M d’habitants, PIB (ppa) de 1Bn$)
Trois bandes horizontales égales bleu ciel (en haut), blanc et bleu ciel. Au centre de la bande
blanche se trouve un soleil jaune rayonnant avec un visage humain (délimité en brun) connu sous le nom de Soleil de mai. Les couleurs représentent le ciel clair et la neige des Andes. Le symbole du soleil commémore l'apparition du soleil à travers un ciel nuageux le 25 mai 1810 lors de la première manifestation de masse en faveur de l'indépendance. Les traits du soleil sont ceux d'Inti, le dieu inca du soleil.
Des attentes à la hauteur de la détermination du gouvernement
Les responsables argentins se sont montrés déterminés à tenir leur engagement d'équilibre budgétaire. En dépit d'un héritage économique et financier plus dégradé qu’anticipé, d’une crédibilité « pays » nulle et d’une absence de majorité au congrès, le Policy-mix déployé par l'administration Milei a permis un ajustement budgétaire historique tout en évitant un dérapage hyper-inflationniste. Le taux de change parallèle a baissé, la banque centrale a été en mesure d'augmenter ses réserves de change, l'inflation mensuelle affiche une tendance baissière et devrait atteindre un taux à un chiffre en avril (en glissement mensuel). Si les attentes d’une stabilisation réussie de la situation macroéconomique du pays ont augmenté ces dernières semaines, des défis majeurs restent à relever, principalement liés à la capacité du président Milei à mener à bien son programme de réformes économiques. Actuellement, le projet de loi Omnibus et les mesures d’augmentation des recettes sont à nouveau discutés au Congrès après un 1er rejet début février. La réforme de l’impôt sur le revenu, le moratoire sur le retour des actifs étrangers et la privatisation des entreprises publiques font partie de ce programme. Le gouvernement a revu le contenu de sa réforme après négociations avec les gouverneurs et membres du congrès, ce qui renforce en principe la probabilité d’adoption du projet de lois. L'équilibre budgétaire n’est toutefois pas subordonné à son approbation. Les nouvelles nominations à la Cour suprême sont également à surveiller car certaines lois de déréglementation ou certains conflits de revenus avec les provinces pourraient être contestés par le pouvoir judiciaire et se retrouver devant la plus haute juridiction. Un enjeu majeur va être de normaliser le cadre monétaire et de change actuel (parité rampante de 2% par mois, taux réels négatifs, contrôle des capitaux étendus). Le contrôle des capitaux devrait être levé dès que possible mais le gouvernement ne prendra aucun risque en la matière. En voie d’assainissement, le bilan de la banque centrale n’est pas encore suffisamment robuste pour assurer la stabilité de la monnaie en cas de développements adverses. Le gouvernement mise toutefois moins sur un stock important de réserves de change que sur des politiques macroéconomiques saines pour migrer, le cas échéant, vers un régime de change flottant (« managed float »). L’équilibre budgétaire, soutenu par les citoyens argentins, est l’élément central du plan gouvernemental. Il doit permettre une reprise économique générant un excédent budgétaire (4 points de PIB générant 1 point de recettes supplémentaires), et permettre in fine une réduction de la charge fiscale pesant sur le secteur privé. Les autorités argentines prévoient une croissance de 5 à 6 % en 2025, avec une augmentation des recettes de 1,5 % du PIB. Le FMI est impressionné par les résultats obtenus par les autorités argentines tant en termes d’assainissement budgétaire que d’accumulation de réserves. Le fonds n’écarte pas la possibilité d’un nouveau programme assorti d’un nouveau financement. Nous avons une vue constructive sur le cas d’investissement argentin qui présente toutefois un risque politique et d’exécution notable, le rétablissement de l’orthodoxie politique étant directement lié à la popularité et à la survie politique du président Milei.
Turquie (République présidentielle de 83,6M d’habitants, PIB (ppa) de 2,8Bn$)
Rouge avec un croissant de lune blanc vertical (la partie fermée est du côté du guindant) et une
étoile blanche à cinq branches centrée juste à l'extérieur de l'ouverture du croissant. Les couleurs et les motifs du drapeau ressemblent beaucoup à ceux de la bannière de l'Empire ottoman, qui a précédé la Turquie actuelle. Le croissant de lune et l'étoile servent d'insignes aux peuples turcs. Selon une interprétation, le drapeau représente le reflet de la lune et d'une étoile dans une mare de sang de guerriers turcs.
Des efforts coordonnés pour réduire l'inflation et restaurer la confiance des investisseurs
L’Echec de l’AKP aux dernières élections municipales n’a pas remis en question l’ajustement macroéconomique en Turquie. Bien au contraire. Pour le gouvernement, l’inflation élevée serait à l’origine de ce revers électoral. L’exécutif considère ainsi comme hautement prioritaire la lutte contre l’inflation, renforçant le mandat du ministre de l’Économie M. Simsek. Les autorités budgétaires se sont ainsi engagées à renforcer le programme économique à moyen terme visant à réduire l’inflation. La priorité absolue du gouvernement est la désinflation. Vient ensuite le renforcement des finances publiques. Doit en résulter une amélioration du solde courant et de la position externe du pays. Avec un déficit budgétaire à -3,6% hors dépenses liées au tremblement de terre et un endettement de 29% du PIB, la soutenabilité de la dette gouvernementale n’est pas un sujet. Le déficit budgétaire est attendu inférieur à 5% pour cette année. En cohérence avec les objectifs de désinflation et de saine gestion, une hausse du salaire minimum n’est pas à l’ordre du jour pour 2024. Le programme économique articulé autour de politiques et de réformes structurelles adaptées doit conduire à un re-balancement du modèle de croissance turc. Des résultats commencent d’ailleurs à être visibles. La contribution à la croissance de la demande domestique a diminué, avec une moindre contribution négative de la demande externe. En conséquence, le solde courant s’est amélioré de 28,3Md$ depuis mai 2023, passant ainsi d’un déficit de 60,1Md$ à 31,8Md$ à fin février. Un des enjeux en termes de réformes structurelles est de remonter la chaine de valeur internationale. La fragmentation en cours du commerce international est à cet égard une opportunité pour le pays, bien positionné pour bénéficier des thématiques de near-shoring et friend-shoring. La politique mise en œuvre par l’autorité monétaire a pour objectif de ramener l’inflation à une croissance à un chiffre (en glissement annuel) pour fin 2026. Le 21 mars, la banque centrale turque (CBRT) a surpris favorablement les investisseurs en relevant son principal taux directeur de 500pb à 50%. Son programme se concentre maintenant sur la simplification des politiques macroprudentielles ainsi que l’augmentation des réserves de change. Elle reste toutefois déterminée à relever davantage son taux si cela s’avérait nécessaire. L’inflation, à 68,5% en glissement annuel à fin mars, devrait franchir le seuil de 70% d’ici mai, avant d’entamer sa décrue. La dynamique d’inflation sous-jacente sur les biens s’améliore, mais l’inflation dans les services demeure problématique. L’inflation légèrement supérieure aux attentes n’a pas remis en question les prévisions d’inflation de la banque centrale, celle-ci ayant pris des mesures additionnelles de durcissement macroprudentiel : augmentation des taux d’intérêts sur cartes de crédit, incitation des banques à augmenter les dépôts commerciaux en Livres turque, introduction de réserves obligatoires en cas de croissance excessive de prêts. Les prévisions d’inflation, qui sont également des objectifs pour la CBRT, sont de 36%, 14% et 9% pour 2024, 2025 et 2026 respectivement. Par ailleurs, la liquidité excédentaire a été stérilisée afin de rendre effective la politique de taux directeurs. Dorénavant, la transmission de la politique monétaire a été restaurée et les conditions financières reflètent l’orientation monétaire souhaitée. La détermination des autorités turques à restaurer l’orthodoxie en termes de politique économique fait selon nous du cas d’investissement turc une opportunité attractive davantage sur la dette en devise locale que sur la dette en devise forte, cette dernière ayant déjà largement intégré le virage orthodoxe du gouvernement. Un positionnement dont le succès est conditionné au retour des investisseurs non-résidents sur le marché local.
Egypte (République présidentielle de 111,2M d’habitants, PIB (ppa) de 1,4Bn$)
Trois bandes horizontales égales de couleur rouge (en haut), blanche et noire. L'emblème national
(un aigle de Saladin en or tourné vers le côté du guindant avec un bouclier superposé sur sa poitrine au-dessus d'un rouleau portant le nom du pays en arabe) centré dans la bande blanche. Les couleurs des bandes dérivent du drapeau de la liberté arabe et représentent l'oppression (noir), vaincue par une lutte sanglante (rouge), devant être remplacée par un avenir radieux (blanc).
Des soutiens financiers internationaux déterminants
Les derniers mois ont été déterminants pour l'Égypte, avec la signature d’un projet d’investissement immobilier de 35Md$ de la part des Émirats Arabes Unis, un programme du FMI revu à la hausse, un soutien accru de l'Union européenne, ainsi que des réformes budgétaires et monétaires complémentaires, qui ont changé positivement les perspectives pour le pays. Des soutiens financiers internationaux qui ont rendu possible le passage à un régime de change flottant et le resserrement significatif de la politique monétaire, permettant in fine un retour des flux de portefeuille des non-résidents nécessaires au financement des besoins sur le marché local égyptien. Les situations budgétaire et externe devraient continuer de se normaliser. Les arriérés ont été totalement régularisés au cours des dernières semaines. Les 24 milliards de dollars de nouvelles entrées de devises attendues dans le cadre du projet immobilier de Ras El-Hikma avec les Émirats arabes unis vont renforcer les réserves de change de la banque centrale, tandis que la moitié des fonds sera transférée au ministère des finances et comptabilisée comme revenus, ce qui contribuera à réduire le déficit budgétaire et à diminuer la dette (12Md$ soit 3,5% du PIB). L'excédent primaire est maintenant attendu à 5,75 % du PIB sur l'exercice 2023/2024, avec un déficit budgétaire de 3,9 % du PIB. Pour l’année prochaine, l’objectif en termes d’excédent primaire est de 3,5% du PIB. Attendu à 84% à fin juin, le taux d’endettement (dette/PIB) devrait ainsi retrouver son niveau d’avant crise et se maintenir sur ce niveau au cours du prochain exercice fiscal. À l'avenir, le solde budgétaire global sera désormais consolidé en incluant 59 entités économiques en complément du gouvernement central. Cela doit permettre de fournir une vision plus transparente et fidèle à la réalité de la situation budgétaire du pays. Un plafond annuel de 1 000Md de Livres pour les investissements publics doit être mis en place ainsi qu'un plafond pour la dette nette des administrations publiques. Les récentes perturbations en mer Rouge ont mis à mal les recettes du canal de Suez, qui ont déjà baissé de 45 % en 2024. La capacité de résilience des comptes externes devrait toutefois être préservée, la baisse de revenus devant être plus que compensée par le retour des transferts de fond en provenance de l’étranger, avec des signaux positifs observés par le gouvernement dans les données haute fréquence. Si certains des déséquilibres macroéconomiques sont en cours de correction, des difficultés persistent, notamment au regard du contexte géopolitique mondial. Toutefois, les autorités égyptiennes semblent déterminées à poursuivre les réformes convenues avec le FMI dans le cadre du nouveau programme de soutien, afin d’assurer une relative stabilité macroéconomique ainsi que la soutenabilité de la dette publique. Un engagement soutenu par les créanciers multilatéraux qui justifie le regain d’intérêt des investisseurs pour la dette égyptienne.