MOYEN - ORIENT (Arabie Saoudite, Qatar, EAU)

30 mai 2022

Au mois de mai, nous avons passé 6 jours au Moyen-Orient et visité 5 villes (Riyad, Djeddah, Abu Dhabi, Dubaï et Doha) dans 3 pays (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis et Qatar).

Lors de notre dernier voyage dans la région en février 2020, nous étions déjà excités par les perspectives à long-terme qu’offrait l’Arabie Saoudite (cf. notre carnet de voyage de février 2020) puisque les grandes réformes socio-économiques (Vision 2030) initiées par le prince héritier Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (MBS) avaient de quoi changer structurellement le visage du pays: développement du secteur privé, de l’économie non-pétrolière, entrée des femmes sur le marché du travail, etc... Dans cette séquence, nous avions hâte de retourner sur place pour ressentir l’ambiance. Cette fois-ci, nous avons rencontré plus de 20 entreprises de divers secteurs: des leaders bancaires comme Saudi National Bank, Al Rajhi Bank, Qatar National Bank, Commercial Bank of Qatar, First Abu Dhabi Bank, Emirates NBD et Dubai Islamic Bank, des développeurs immobiliers émiratis tels que Emaar et Adar Properties, des fournisseurs de biens de consommation tels que Almarai et Agthia, le groupe hospitalier AL Hammadi, le spécialiste de la location de voitures Budget Saudi, la plateforme de livraison de repas Jahez, le fournisseur de solutions IT ELM, les leaders des matériaux de base comme Industries Qatar et Saudi Arabian Mining Co (Maaden), le groupe de grande distribution Bindawood, l’opérateur de stations-service ADNOC, l’opérateur de télécom Etisalat, le spécialiste de média Saudi Research & Media Group (SRMG), et la compagnie aérienne à bas prix Air Arabia.

La plupart des entreprises rencontrées ont fait part de beaucoup d'optimisme, mettant en avant des fondamentaux macroéconomiques porteurs, et plus important encore, les initiatives gouvernementales en matière de réformes. Grâce à la réouverture post-Covid et aux prix élevés de l’énergie, les 3 pays profitent d’un contexte énergétique favorable. Leurs économies devraient afficher une croissance réelle comprise entre 5% et 10% cette année (7% pour l’Arabie Saoudite d’après le FMI), et leurs excédents (courants et fiscaux) pourraient atteindre 25% à 30% du PIB en 2022. Les pressions inflationnistes tout comme les risques politiques sont présents aussi dans ces pays, mais dans une moindre mesure par rapport aux autres pays émergents. De surcroît, nous avons senti que les réformes jouaient désormais un rôle essentiel dans la région. Elles sont impulsées à la fois par la demande interne (pour créer des emplois et sécuriser la croissance long-terme) et par la compétition intra-région pour les investisseurs étrangers. En Arabie Saoudite, où le projet Vision 2030 prend progressivement forme, les projets d’investissement soutenus par le gouvernement (100 Md$ sans compter NEOM, un chantier de ville futuriste estimé à 500 Md$) créent des opportunités dans les secteurs de l’énergie (renouvelable), tourisme & loisir, minier, technologie et industries militaires. Le Fonds public d’investissement (PIF) a un mandat pour investir au minimum 40 Md$ par an jusqu’à 2025. Pour ce qui est de la consommation, l’indice de confiance des ménages est au plus haut depuis 12 ans, ce qui contraste avec le reste du monde. Il pourrait continuer à grimper si le taux de TVA (augmenté de 5% à 15% en juillet 2020) venait à être baissé une fois les réserves de change reconstituées (452 Md$ actuellement contre 737 Md$ au plus haut en août 2014). Au Qatar, les fondamentaux macro sont également solides du fait des prix élevés de l’énergie. Le pays devrait gagner en visibilité à l’international grâce à la Coupe du Monde de football en fin d’année. Son plan d’augmenter sa production de LNG (de 40% à horizon 2026) est opportun dans la mesure où le projet Nord Stream 2 a été arrêté, et où la demande en gaz devrait se montrer résiliente dans un monde visant de plus en plus la neutralité carbone. Aux Emirats, où la faiblesse du secteur immobilier avait affecté l’économie de Dubaï lors de notre dernier voyage, le sentiment a changé radicalement. La normalisation post-Covid, le succès de Dubaï Expo et les réformes en matière de visa (tourisme & expatriations) devraient contribuer à la croissance de la population et à une demande immobilière à Dubaï et Abu Dhabi.

Si les investisseurs étrangers se positionnent encore peu sur les bourses de ces pays, nous estimons que la situation est en train de changer. Leurs bonnes perspectives de croissance, les réformes structurelles, l’inflation modérée, le risque politique limité, et le faible risque de change (les devises sont indexées au dollar US) rendent ces marchés attrayants, surtout dans le contexte actuel. Les réformes en cours (comme la hausse de la limite de participation au capital pour les étrangers), un pipeline d’IPO solide et l’augmentation du poids dans les indices (le Moyen-Orient représente déjà 8,4% de l’indice MSCI EM) devraient également attirer davantage de flux.

Focus valeur: Saudi National Bank (revenus de 9 Md$, capitalisation boursière de 81 Md$, 1% de GemEquity) & Al Rajhi Bank (revenus de 8 Md$, capitalisation boursière de 100 Md$, 1,9% de GemEquity)

Estimée à 113% de PIB, la pénétration des actifs bancaires saoudiens est en ligne avec d’autres pays émergents comme la Pologne ou la Turquie, mais en dessous de celle d'autres membres du Conseil de Coopération du Golfe (>200%). Bien que les banques étrangères soient compétitives sur certains segments (financement étatique, marchés de capitaux et UHNW), les champions locaux dominent le marché. Parmi eux, la Saudi National Bank (SNB, née de la récente fusion de NCB et Samba Financial Group) est la plus importante en termes d'actifs, avec environ 25% de PdM en crédit/dépôt. 

Al Rajhi Bank (créée en 1957 par la famille Al Rajhi) est la plus grande banque islamique au monde en termes de capitalisation boursière et d'actifs. Les "investissements illicites" dans les secteurs de l'alcool, du tabac et des jeux d'argent étant interdits, les produits d'Al Rajhi Bank sont structurés pour se conformer aux principes de la charia (pas d'intérêts facturés). A titre d’exemple, dans le cas d'un prêt automobile, la banque achète la voiture au nom de l'emprunteur et la revend à l’emprunteur à un prix qui comprend le prix d'achat de la voiture plus une majoration en capital. Le versement mensuel effectué par l’emprunteur comprend alors le remboursement du principal et la majoration, mais pas d’intérêts.

Al Rajhi est le leader de la banque de détail (>30% de PdM), avec une activité en forte croissance (42% de l'encours total du secteur vs 28% en 2009). Elle a notamment bénéficié de la croissance vigoureuse du secteur hypothécaire (47% de son portefeuille de prêts aux particuliers). Alors que le gouvernement soutient le secteur (via des prêts subventionnés) pour atteindre l'objectif de 70% d'accession à la propriété (Vision 2030), la croissance des prêts hypothécaires devrait rester forte jusqu'à la fin de l'année prochaine (+30% par an sur 2021-23). Bien que la réglementation ait autorisé le refinancement hypothécaire, Al Rajhi reste confiante. Son portefeuille de prêts pourrait augmenter de 15 à 20% cette année, un objectif plus ambitieux que celui de SNB, plus conservateur (11-13%). Cependant, nous estimons que SNB pourrait continuer à surprendre positivement comme elle l'a fait au dernier trimestre. Désormais, ses dirigeants redonnent la priorité à la croissance (au lieu de finaliser la fusion). Ses positions dominantes dans la banque de détail (#2) et sur le segment des entreprises (#1) lui permettront de bénéficier du solide environnement macroéconomique saoudien. Le début d'un cycle haussier de prêts aux entreprises soutenu par des méga/giga projets pourrait particulièrement profiter à la SNB, considérée comme la banque du gouvernement saoudien. Côté financement, les deux banques font face à une augmentation des coûts. D’une part les hausses de taux créent une pression naturelle sur leurs dépôts CASA (principale source de leur financement qui ne porte pas d'intérêt), et d’autre part l'exposition accrue au secteur hypothécaire a également entraîné un besoin croissant de financement de gros, qui est plus cher mais qui aide à réduire le risque d'une inadéquation actif / passif. Les hausses de taux anticipées de la Banque Saoudienne (qui calque la politique monétaire de la Fed du fait de l’indexation du SAR) sont normalement relutives pour les banques, mais Al Rajihi a guidé à la baisse les attentes du marché (45 à 55 pb de baisse de NIM par rapport aux 4,1% de l'année dernière) en raison d’une hausse des coûts de financement et des pressions tarifaires de la banque de détail. La SNB, quant à elle, est confiante quant à son expansion de marge. Le portefeuille de prêts aux entreprises est souvent composé de prêts à taux variables basés sur le taux SAIBOR. La banque pourrait revaloriser ces prêts en 2 trimestres. En effet, SNB estime que chaque hausse de taux de 25 points de base ajoute 3 à 5 pb à son NIM (3,0% l'an dernier). Son objectif NIM 2022 est de 3,15% à 3,3% sur la base de 5 à 7 hausses de taux aux États-Unis.

Focus valeur: ELM (CA de 1,1 Md$, capitalisation boursière de 5,3 Md$)

Fondée en 1986 en tant que société de recherche investissant dans les technologies de la localisation, ELM s'est progressivement transformée en un grand fournisseur de solutions numériques en Arabie saoudite. La société propose des solutions de conseils à la fois administratifs et techniques, du contrôle qualité, de l'E-sécurité et de la gestion de la transformation aux secteurs public et privé via ses 3 segments d'activité : les activités numériques, les services professionnels (services de conseil en analyse de données et IA) et l'externalisation des processus métiers (BPO). En tant qu'entité appartenant au gouvernement (le Fonds d'investissement public détenait 100 % de l'entreprise, puis 67 % après l'introduction en bourse en février 2022), ELM a maintenu des liens étroits avec le secteur public saoudien, le client le plus dépensier du pays en matière d'externalisation informatique. ELM est le fournisseur de services « e-gouvernement » et a développé la très populaire application Absher permettant à ses utilisateurs de prendre rendez-vous avec les services gouvernementaux, de renouveler leurs passeports ou leurs permis de conduire, de postuler à des emplois et d’obtenir des permis de Hajj (pèlerinage annuel)... Alors que l'état saoudien contribue actuellement à 50% du chiffre d'affaires d'ELM, la société prévoit de développer davantage ses activités vers le secteur privé. Le Royaume visant à devenir le hub numérique de la région du CCG, Vision 2030 devrait augmenter la demande globale en technologies de l'information. Le secteur privé devrait également augmenter ses investissements en tant que gagnant de la diversification économique et des réformes. La direction d'ELM estime que chaque secteur a besoin de solutions numériques et de services BPO, le secteur bancaire étant la seule exception étant donné les solides capacités internes des groupes financiers. Dans cet environnement, les acteurs locaux (ELM et son concurrent Arabian Internet and Communications Services, spin-off de Saudi Telecom) sont les mieux positionnés compte tenu de leur connaissance du marché et de leur solide relation avec les grands comptes. A ce titre, ELM s'est fixé un objectif de croissance du CA à moyen terme de 15% par an, objectif révisable à la hausse en cas de succès de son expansion internationale (premier contrat remporté en Irak). Bien qu'ELM ne soit pas confronté à des pressions inflationnistes, comme c'est le cas pour ses confrères à l’international, le développement de l'activité projets pourrait être dilutif pour sa marge. La direction estime que ce vent contraire pourrait être géré car la rentabilité a toujours été l'une des principales considérations. Nous trouvons l'entreprise intéressante et l'avons ajoutée à notre liste de surveillance.

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