RUSSIE

29 juin 2019

Nous venons de passer quelques jours à Moscou pour faire le point sur la santé et les préférences du consommateur russe, prendre le poul du sentiment domestique.

Dans la grande distribution nous avons rencontré les équipes de X5 Retail, Magnit, Lenta, Detsky Mir parmi les sociétés cotées ou encore Vkusvill et Fix Price parmi celles qu’on attend en bourse pour 2020. Dans l’internet nous avons échangé avec Yandex, Mail, Qiwi (cotés) ; Ozon et Rambler (non cotés). Globalement les dépenses des ménages restent sous pression.

Focus Macro :  A quand la redistribution ?

L’économie russe est actuellement tirée par l’investissement productif tandis que le consommateur voit toujours son revenu disponible baisser. La hausse de la TVA en janvier 2019 de 18% à 20%, le quasi doublement des charges municipales (immobilier, traitement des déchets) et la réforme des retraites surprise passée en 2018 et qui a provoqué une vague protestataire n’arrangent pas les affaires. Entre temps le secteur exportateur se porte bien : l’excèdent de la balance commerciale a dépassé les niveaux d’avant crise, à savoir 194Md$ en 2018 (vs. 90Md$ en 2016). Grace à la règle fiscale implémentée début 2016, les fonds souverains ont refait le plein : 177Md$ attendu en 2019 et 220Md$ en 2020 (vs. 65Md$ en 2017). L’inflation reste faible, les économistes révisant récemment leurs prévisions à la baisse à 4,5% pour 2019. Cela se compare aux prévisions de 5-5,5% par la banque centrale en début d’année. Le taux directeur étant actuellement à 7,75%, les taux réels sont élevés. On attend désormais 50 bps de baisse de taux en 2019, donnant à l’économie une bouffée d’air.

Au 1T19 l’économie n’a cru que de 0,5% a/a mais au fur et à mesure du déploiement du programme d’infrastructure la dynamique de la croissance économique devrait accélérer. Les dépenses budgétaires prévues pour 2019 s’élèvent à 277Md$, soit 16,5% du PIB. Les investisseurs étrangers ont retrouvé le gout de la dette russe (le gouvernement a levé 2,8Md$ en avril seul) mais le risque des sanctions reste bien présent et s’il accroit pourrait peser sur le sentiment et la devise.

Focus secteur : distribution alimentaire. Sociétés : VkusVill : CA 1,3Md$, privé ; X5 : CA 27Md$, capitalisation boursière 8Md$

« Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », disait F. Nietzsche. Une métaphore devenue triviale dans le monde actuel et qui décrit parfaitement l’état de la distribution alimentaire en Russie. En 2014 lorsque les sanctions sont tombées, les raillons des magasins se sont vidés, les prix avaient flambé et des produits de moindre qualité ont occupé les surfaces pendant un certain temps. Depuis, d’importants efforts de localisation ont été réalisés. Nous étions surpris par l’abondance de produits frais dans les raillons et l’émergence de nouveaux acteurs dans l’alimentation organique tel que Vkusvill (Le Goût de la Ferme). Il s’agit d’une chaine forte de 820 magasins, quelques kiosques situés essentiellement à Moscou (1,7% de pdm) et offrant 95% de produits de marque propre. A l’origine, une petite chaine de produits laitiers fondée par un jeune entrepreneur Andrey Krivenko. Depuis la gamme s’est élargie

mais l’accent reste mis sur le frais : 50% des produits livrés en magasin sont achetés le jour même par le client. La logistique est  puissante. Aussi le concept marketing est absolument génial : à travers l’application mobile les clients sont invités à voter sur un panier de produits achetés en échange d’un bon de réduction personnalisé. Les promotions visibles n’existent pas et le consommateur se sent responsable de ce qu’il consomme.  Le magasin ajuste en conséquence ses sources d’approvisionnement. Le fonds de capital-risque Baring Vostok détient 12% du capital, le fondateur 68% et le reste des équipes dirigeantes (dont la moyenne d’âge est de 35 ans) les autres 20%. On comprend bien l’incentive d’introduire en bourse la société. Les représentants de Baring visent 2S20. La société génère un CA de 1,3Md$, une marge EBITDA de 8% et pourrait valoir 1Md$ en bourse (si on applique le multiple de X5, soit 9x EV/EBITDA). Ils pensent pouvoir atteindre 3 000 magasins d’ici 3 ans en pénétrant Saint Pétersbourg et quelques autres grandes villes. Mais les concurrents sont sceptiques.    

En effet le secteur de la distribution alimentaire d’une valeur de 250Md$ est déjà mature en Russie : 70% des achats se font dans le commerce organisé. Le leader, X5 Retail détient 11% de parts de marché avec 16,000 magasins (15 000 magasins de proximité, 770 super et 91 hypers), suivi par Magnit avec 7,7%. Le deux continuent de consolider le marché et ajoutent 2,000 magasins par an chacun. L’ascension fulgurante de VkusVill les a pris de court : 1/ contrairement à leur à priori, il y a un segment de consommateurs qui est prêt à débourser plus (20-30% en moyenne) pour des produits frais de meilleure qualité; 2/ il existe des solutions promotionnelles plus efficaces que les étiquettes jaunes en magasin ; 3/ la marque propre marche très bien en Russie et le client est prêt à tester de nouveaux concepts.

La nouvelle équipe dirigeante de X5 en prend bien conscience. Ils ont pour objectif d’augmenter la part des marques propres à 20% d’ici 3 ans (vs 5% actuellement). Le taux de turnover des employés et leur niveau de satisfaction figurent désormais parmi les critères extrafinanciers du système de rémunération de la direction. La qualité du service est prioritaire. Aussi Svetlana Demyashkevitch, la directrice financière s’est montrée plus enthousiaste quant aux développements liés à omnichannel. De par leurs investissements passé dans l’IT, X5 est le mieux positionné pour cette évolution. Ils testent des livraisons à domicile à partir des supermarchés, les magasins de proximité deviennent des points de retrait pour le commerce en ligne, source de trafic supplémentaire. L’internet révolutionne aussi la consommation en Russie et croit à une vitesse fulgurante. OZON, le principal site de e-commerce en Russie enregistre une croissance de sa valeur brute marchande de 80% par an.

Focus Secteur : Internet révolutionne les habitudes

Nous vous avons déjà parlé de Yandex récemment (rapport mensuel mars 2019), le principal moteur de recherche en Russie et un acteur incontournable dans la publicité. Mais la nouvelle  ambition d’Arkady Volozh, fondateur et principal actionnaire de la société est de révolutionner le secteur du transport. En mai dernier lors d’une présentation media il est arrivé sur scène à bord d’une voiture autonome, conduite grâce au système opérationnel développé par Yandex. Simultanément la société annonçait la promotion du directeur de pôle taxi Tigran Khudaverdyan au poste du Député Directeur General du groupe. Cela marque le ton. De fait, Yandex.Taxi et désormais aussi Yandex.Drive (car sharing) révolutionne déjà les habitudes des citadins : sécurité, confort, attractivité prix. Le traffic reste dense, les trajets longs et le parking plus coûteux et compliqué. Alors pourquoi prendre sa voiture ?

Greg Abovski, que nous avons rencontré, reste le directeur opérationnel et financier du groupe et Volozh le PDG officiel. L’application Yandex.Maps est la plus téléchargée du pays et nous avons même trouvé les écrans avec le système de navigation Yandex dans les nouvelles rames de métro moscovite. Autant dire que l’écosysteme Yandex fonctionne bien.  

 

 

 

 

 

 

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